Le début de la chanson engagée – Le déserteur

1954. En réaction à la guerre d’Indochine, Boris Vian crée Le déserteur, chanson pacifiste et anti-militariste dénonçant la guerre et ceux qui ordonnent aux autres d’y aller. Le texte, chanté à la première personne, fait état d’un homme devant bientôt servir au front et, ressassant ses souvenirs ingrats de la guerre (J’ai vu mourir mon père…On m’a volé ma femme), décide de déserter. Tout cela, par l’intermédiaire d’une lettre ouverte au président de la République, lequel il accuse d’envoyer à la guerre des jeunes au lieu d’y aller lui-même. Il y a toutefois dans la première version écrite du texte une légère différence avec celle que chantera finalement Vian, et c’est le dernier quatrain. Originalement, Vian concluait sa chanson par: Si vous me condamnez/Prévenez vos gendarmes/Que je possède une arme/Et que je sais tirer. Proposée à Mouloudji, c’est ce dernier qui, selon certains, aurait suggéré à l’auteur une fin un peu plus pacifique… C’est d’ailleurs ce même Mouloudji qui enregistrera une version, en 1955.

Boris Vian – Le déserteur

Mouloudji – Le déserteur

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Mais scandale! La France, alors aux prises avec le Front de Libération National algérien, fait censurer la chanson, qui subit quelques modifications, voire altérations (« Monsieur le Président« , par exemple, fut remplacé par « Messieurs qu’on nomme grands« ). Elle est interdite à la radio et également dans les bacs, de 1954 à 1962, et ne ressort finalement qu’après le retrait des Français de leur ancienne colonie africaine. Vian n’aura jamais eu le plaisir de voir son morceau être enfin décensuré puisqu’il décèdera pendant une projection privée de son roman J’irai cracher sur vos tombes, en 1959.

La goualante, laissée un peu dans l’oubli, sera remise à l’avant-scène à cause d’une autre guerre impopulaire, celle du Viêt-Nam. Cette renaissance sera opérée aux États-Unis par un groupe anglo-saxon aux couleurs hippies, Peter, Paul & Mary. Il semble d’ailleurs que la mode à l’époque était à la chanson engagée, par le truchement des Joan Baez et des Bob Dylan, dont les chansons reflétaient les valeurs du mouvement des droits civiques. Richard Anthony décide alors d’enregistrer sa propre version, un peu édulcoré et visant un public plus large.

Richard Anthony – Le déserteur

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Cette récupération mercantile de la pièce de Vian ne passe pas inaperçue et plusieurs raillent le chanteur populaire. Ce sera par ailleurs dénoncé par Jean Ferrat en 1967, avec son Pauvre Boris:

Si, l’autre jour, on a bien ri
Il paraît que le déserteur
Est un grand succès de l’heure
Quand c’est chanté par Anthony

Jean Ferrat – Pauvre Boris

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Enfin, c’est au tour de Renaud de faire sa propre version du déserteur, qu’il interprète sur l’album Morgane de Toi, sorti en 1983. Renaud remanie toutefois le texte dans une langue beaucoup plus populaire et donne un second souffle à la chanson en la modernisant. En effet, Renaud évoquera dans sa version la guerre froide (Quand les Russes, les Ricains/feront péter la planète), l’énergie nucléaire et également l’écologie (Je n’suis qu’un militant/Du parti des oiseaux/Des baleines, des enfants/De la terre et de l’eau).

En 1991, lors de la guerre du Golfe, la chanson redevient censurée en France ! Comme quoi rien n’a vraiment changé depuis que Vian a composé sa chanson…

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Paroles

Boris Vian – Le déserteur

Jean Ferrat – Pauvre Boris

Renaud – Le déserteur

Richard Anthony – Le déserteur

Sources

  • GUESPIN, P. Aux armes et caetera : La chanson comme expression populaire et relais démocratique depuis les années 50. Paris : L’Harmattan, 2011, p. 104-105.
  • NORBERT, G. Histoire d’une chanson : Le déserteur [http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2012/12/29/histoire-dune-chanson-le-deserteur/] Consulté le 31 décembre 2012.
  • NUC, O. La France en chansons. [http://www.lefigaro.fr/musique/2011/08/11/03006-20110811ARTFIG00425–le-deserteur-de-boris-vian.php]. Consulté le 21 décembre 2012.

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