Avé Cesária – La diva aux pieds nus

Crédit photo: Silvio Tanaka

Née le 27 août 1941, à Mindelo au Cap-Vert, Cesária Évora grandit dans une famille plutôt modeste; son père, qui était musicien, décède alors qu’elle est encore en bas âge et elle est placée dans un orphelinat puisque sa mère ne peut subvenir aux besoins de tous ses enfants. C’est là qu’elle commencera à chanter, notamment dans une chorale, seule diversion semble-t-il dans un endroit où elle est malmenée par les nonnes. Ce goût pour la chanson se développera tout doucement à partir de ce moment-là; puis sa rencontre avec un marin portugais, Eduardo, lui sera providentielle puisqu’il lui enseignera les différents types de musique du Cap-Vert, dont la morna, un style de « blues » cap-verdien qu’elle immortalisera.

Cesária Évora – Sôdade

Avec quelques encouragements, Évora se produit bientôt dans les bars et les cafés, et peu à peu resplendit son étoile. « Cize » comme on la surnomme désormais devient populaire parmi les boîtes de nuit, mais demeure toujours un secret bien gardé des îles du Cap-Vert. Si sa carrière semble lancée, elle mettra cependant fin brutalement à son tour de chant, et noiera ses chagrins dans l’alcool. Cette mise en veille durera près de dix ans, jusqu’à ce qu’une association de femmes portugaises parviendra à la persuader de revenir à la scène et ce, à Lisbonne. Quitter Cap-Vert, ancienne colonie du Portugal, pour fouler la capitale de ce même empire lusitanien? Hésitant pendant un moment, Évora se laisse convaincre et part pour l’Europe en 1985.

Cesária Évora – Petit pays

Ce n’est qu’en 1988, alors qu’elle a 47 ans, que son premier album voit le jour, intitulé (et en français s’il-vous-plaît!) La diva aux pieds nus. Ce titre est en fait une référence à un de ses surnoms, lui provenant du fait qu’elle chante sans chaussures, rappelant peut-être ses origines modestes. Le succès sera au rendez-vous, et désormais Évora deviendra un nom incontournable de la musique africaine; Cize enchaînera par la suite disque sur disque, profitant ainsi de sa reconnaissance tardive. Malheureusement, des années d’abus d’alcool et de tabac la rattrapent éventuellement, et elle décède en 2011, après des interventions chirurgicales au coeur, ce coeur qu’elle avait ouvert au gré de ses chansons, de sa nostalgie parfumée de chagrin, d’amertume et de mélancolie.

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Crédit photo: Georges Biard

En 2013, le jeune chanteur belge Stromae décide de consacrer à Évora un morceau sur son album Racine Carrée, intitulé Avé Cesária. S’inspirant de rythmes africains, la goualante est un véritable hommage à la grande dame de la chanson cap-verdienne. Jouant sur la proximité des noms de Cesária et du célèbre dictateur romain, il fait référence à son penchant immodéré pour l’alcool par l’entremise d’un calembour assez bien trouvé, où il s’amuse à substituer « rhum » à « Rome »: malgré toutes ces bouteilles de rhum, tous les chemins mènent à la dignité. Stromae ajoute également un clin d’oeil à son retrait de la vie artistique (Ah tout le monde te croyait disparue, mais tu es revenue), avant de conclure en chantant « sodade di nha Cesária », évoquant la nostalgie qu’il éprouve par rapport à « sa » Cesária…

Stromae – Avé Cesária

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Paroles

Stromae – Avé Cesaria

Sources

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création de Silvio Tanaka, trouvée sur Wikimedia Commons. Cliquez ici pour le lien.

Ar brezhoneg eo ma bro – Gilles Servat, le chantre breton

Gilles Servat était destiné par ses ancêtres à une carrière à la fois artistique et politiquement engagé pour la Bretagne. Du côté paternel, son arrière-grand-père André dit Carrache était un montreur d’ours à Ustou, en Ariège; après une tentative ratée de se rendre en Amérique – la bête étant morte du mal de mer – il est revenu s’installer à Saumur. Son grand-père Gaston s’implantera à Nantes où il deviendra conseiller général de Vallet et même adjoint du maire, et c’est là que naîtra le père de Gilles, André; ce dernier conservera tout au long de sa vie des liens serrés avec Nantes, liens qu’il communiquera à son fils. Du côté de sa mère, originaire du Croisic, on parle encore en famille un dialecte breton, le bigouden. C’est là qu’il entendra pour la première fois parler cette langue de laquelle il deviendra plus tard un ardent défenseur. Gilles Servat est donc de culture bretonne par ses deux parents.

Né le 1er février 1945 à Tarbes, Servat grandit à Cholet, avec ses parents et ses deux frères. D’abord peu enclin aux études, il obtient son baccalauréat en 1963, en faisant des études littéraires. Puis, il entre à l’école des Beaux-Arts d’Angers afin d’y apprendre la peinture, la sculpture et la gravure. Toutefois, le courant à l’époque est à l’art conceptuel, ce qui ne lui plaît pas du tout; sa rencontre fortuite avec Serge Bihan, de même que l’esprit de mai 68, sont révélateurs pour lui et influencent sa décision à s’orienter vers la chanson. S’il chante déjà du Brassens, du Ferré, du Bruant et des traductions de Dylan, Servat est encouragé par Bihan qui l’emmène donner son premier récital à Rennes, en Bretagne. Inscrit aux Beaux-Arts de Paris, il n’y restera qu’un seul jour avant d’aller confectionner des marionnettes avec Jean-Pierre Lescot. Entre temps, il a découvert l’île de Groix, grâce à Bihan, et se met à lire un poète local qui écrit en breton, Yann-Ber Kalloc’h; une ferveur à la fois révolutionnaire et culturelle est en train de bouillonner en lui. Gilles Servat se met en tête d’apprendre la langue bretonne et la première goualante qu’il interprètera dans cet idiome sera un poème de Kalloc’h, Me zo ganet e kreiz ar mor. Il consacrera également une pièce à cette commune insulaire qui l’a transformé, intitulée tout simplement L’île de Groix.

Gilles Servat – Me zo ganet e kreiz ar mor

Gilles Servat – L’île de Groix

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Alors qu’il chante dans un restaurant sur l’île de Groix, chez Claude Pouzoulic, Gilles Servat fait la rencontre d’un autre barde breton, Émile Le Scanff dit Glenmor (connu de nos lecteurs pour être le célèbre Émile de la goualante Le Moribond, de Brel). Ce dernier manie déjà la parole comme une arme politique – il a créé le chant de marche de l’Armée révolutionnaire bretonne (Kan bale an ARB) – et influence grandement Gilles qui le met à son panthéon de maîtres à penser, avec Ferré et Brassens. Lorsque Servat s’exile à Paris, il ira rejoindre Glenmor au Ti Jos, le « café national » des Bretons situé à Montparnasse; cet isolement loin de la côte armoricaine lui permettra de composer ses meilleures ritournelles. Il crée entre autres Montparnasse Blues, pour souligner son mal du pays, et La Blanche Hermine, une protest song qui émerveille, émeut ou dérange le public venu l’entendre. Aujourd’hui, cette dernière peut être considérée comme un hymne non-officiel de la Bretagne.

Gilles Servat – La Blanche Hermine

Gilles Servat – Montparnasse Blues

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Les années 70 sont particulièrement fructueuses pour le chanteur, puisque les contestations battent leur plein en France pour un nombre de raisons (sociales, économiques, écologiques). En 1971, après avoir bien rodé son tour de chant, Gilles Servat sort son premier 45 tours (La Blanche Hermine/Kalondour) sur le label Kelenn créé par Glenmor, Alain Guel et Xavier Grall. L’année d’après, c’est un 33 tours enregistré à Dublin que sort le chansonnier breton, et l’album contient plusieurs goualantes réussies. Notons au passage Koc’h ki gwenn ha koc’h ki du, écrite par le père de Servat; ce dernier était irrité par la scission de la Bretagne historique qui perdait ainsi la Loire inférieure (Loire-Atlantique actuelle) au profit du Pays de la Loire. Il y a aussi Les Prolétaires, dans lequel il aborde à la fois le problème de l’exode rural, ainsi que la précarité des emplois dans les grandes villes, où certains travailleurs se font exploiter.

Gilles Servat – Koc’h ki gwenn ha koc’h ki du

Gilles Servat – Les Prolétaires

Après le 33 tours Ki Du, c’est sur Kalondour qu’il sort ses prochains albums, au rythme d’un par année; son dernier opus sur ce label sera un disque hommage à René Guy Cadou, un poète qui fut l’instituteur de sa mère, Renée Litou. Mentionnons au passage que l’engagement à gauche de Gilles Servat est toujours au centre de son oeuvre; il participe au collectif Skoazell Vreizh soutenant les prisonniers politiques de Bretagne, et interprète pour son album L’Hirondelle la pièce Gwerz Victor C’hara, un chant breton dédié au chanteur chilien Victor Jara assassiné en 1973. Il est également adepte d’un anticléricalisme convaincu et militant, ce qu’il rappelle tendrement dans Chanson pour le baptême de Virginie, pour sa fille.

Gilles Servat – Litanies pour l’an 2000 (L’Hirondelle)

Gilles Servat – Gwerz Victor C’hara (L’Hirondelle)

Gilles Servat – Chanson pour le baptême de Virginie (Le Pouvoir des Mots)

Gilles Servat – Le testament (Hommage à René Guy Cadou)

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Si Gilles Servat s’éloigne quelque peu du militantisme politique suivant son album hommage à Cadou – il quitte l’UDB (Union Démocratique Bretonne) en 1981 et chante Je ne hurlerai pas avec les loups, marquant son refus de la violence au nom d’un idéal – son amour pour la Bretagne demeure par son support indéfectible à Diwan (écoles de langue bretonne). Désormais, ses créations explorent des thèmes plus intimes et introspectifs, comme l’amour, et des réflexions sur la nature; il publie également un premier roman, La naissance d’Arcturus, une épopée inspirée par la société celtique ancienne. En 1988, son album Mad in Sérénité obtient le prestigieux Grand Prix de l’Académie Charles-Cros, de même que le Prix Régional de Bretagne.

Dans les années 90, le chansonnier breton travaille de concert avec An Triskell, un duo d’harpistes, pour l’album L’albatros fou; après un enregistrement à Brest, cette collaboration donnera lieu à un spectacle qui fera une tournée dans les festivals bretons, ainsi qu’au Pays de Galles et en Écosse. En 1992, Servat s’envole vers Tahiti, effectuant le trajet qu’empruntait un peintre qu’il admirait beaucoup, Paul Gauguin. La même année, il enregistre Le Fleuve, inspiré par la Loire, où selon ses dires les textes qu’il écrit ne parlent que d’une partie, « [c]elle du milieu, où il coule et traverse les pays ». Puis, il rejoint Dan Ar Braz aux Fêtes de Cornouaille à Quimper pour faire partie du projet Héritage des Celtes, un festival de musique celtique. De cette association naîtra plusieurs albums, dont le dernier (Célébration d’un héritage) qui est lancé en 2014; si le son breton obtient une « certaine reconnaissance internationale » grâce à cet effort collectif, marqué par deux Victoires de la musique en France, l’accueil sera un peu mitigé dans les pays celtes.

En 1998, en réponse au Front National qui entonne La Blanche Hermine dans ses assemblées, Gilles Servat crée Touche pas à la blanche hermine, un texte qu’il récite devant public. Dans cette diatribe contre le FN, qu’il qualifie de « parti des aveugles que domine un führer borgne », il martèle que leur combat est loin d’être le même, soulignant que l’hermine a la queue noire et que son pelage en été devient brun, « couleur la plus métisse qui soit ».

Gilles Servat – Je ne hurlerai pas avec les loups (1ère partie)

Gilles Servat – Le chemin bleu (Mad in Sérénité)

Gilles Servat – Le moulin de Guérande (L’Albatros fou)

Gilles Servat – Touche pas à la blanche hermine

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Depuis l’an 2000, le chantre bretonnant continue de chanter et d’écrire. À l’occasion du festival des Vieilles Charrues de 2001, Gilles Servat crée de toutes pièces le spectacle Bretagne, nous te ferons. Puis, en 2003, il reçoit le prestigieux collier de l’Ordre de l’Hermine qui récompense tout individu ayant contribué au rayonnement de la Bretagne; dans son cas, nous pouvons affirmer qu’il s’agit là d’un honneur amplement mérité. Et, afin de remercier son public, il sort en 2006 un best of des chansons les plus appréciées de ses fans, intitulé Je vous emporte dans mon coeur, qui comporte 35 titres pour souligner ses 35 ans de carrière. Invariablement passionné par son coin de pays,  Servat vient tout juste de sortir son dernier opus en 2017, 70 ans… à l’Ouest.

Gilles Servat atteindra bientôt le plateau des 50 ans de carrière, un parcours qui en dit long sur son amour de la culture bretonne, tantôt engagé, tantôt contemplatif, le Gwenn ha du flottant toujours au creux de son coeur, au gré du vent, au gré du temps.

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Paroles

Gilles Servat – Chanson pour le baptême de Virginie
Gilles Servat – Je ne hurlerai pas avec les loups
Gilles Servat – Koc’h ki gwenn ha koc’h ki du
Gilles Servat – La Blanche Hermine
Gilles Servat – Le chemin bleu
Gilles Servat – Le moulin de Guérande
Gilles Servat – Les Prolétaires
Gilles Servat – Le testament
Gilles Servat – L’île de Groix
Gilles Servat – Litanies pour l’an 2000
Gilles Servat – Montparnasse Blues
Gilles Servat – Touche pas à la Blanche Hermine

Discographie

Pour Gilles Servat

1971 – Gilles Servat [45 tours] : La Blanche Hermine/Kalondour

1971 – La Blanche Hermine [33 tours]

1972 – Lo Païs [45 tours] : An Alarc’h/Les Colonies

1973 – Ki Du [33 tours]

1973 – Kalondour [45 tours] : Kalondour/Crubelz

1973 – Bretagne d’aujourd’hui [33 tours/Compil.]

1974 – L’Hirondelle [33 tours]

1975 – La Liberté brille dans la nuit [33 tours]

1976 – Le Pouvoir des mots [33 tours]

1977 – Chantez la vie, l’amour et la mort [33 tours]

1979 – L’Or et le Cuivre [33 tours]

1980 – Hommage à René Guy Cadou [33 tours]

1981 – Gilles Servat en public [33 tours]

1982 – Je ne hurlerai pas avec les loups [33 tours]

1982 – 15 ans de chansons [33 tours/Compil.]

1982 – Gros-Plant et Muscadet [45 tours] : Gros-Plant et Muscadet/La Gueule pleine de vin rouge

1985 – La Douleur d’aimer [33 tours]

1988 – Mad in Sérénité [CD]

1992 – Le Fleuve [CD]

1993 – L’Albatros fou [CD]

1994 – Les Albums de la Jeunesse [CD]

1994 – A-raok mont kuit [CD]

1996 – Sur les quais de Dublin [CD]

1996 – Litanies pour l’an 2000 [CD/Compil.]

1998 – Touche pas à la blanche hermine [CD]

2000 – Comme je voudrai ! [CD]

2003 – Escales [CD/Compil.]

2005 – Sous le ciel de cuivre et d’eau [CD]

2006 – Je vous emporte dans mon coeur (35 ans – 35 tires) [2CD]

2010 – Best of Gilles Servat : 40 ans de succès [2CD/Compil.]

2011 – Ailes et îles [CD]

2013 – C’est ça qu’on aime vivre avec [CD]

2017 – 70 ans… à l’Ouest [CD]

Collaboration avec Dan Ar Braz

1994 – Héritage des Celtes [CD]

1995 – En Concert [CD]

1997 – Finisterres [CD]

1998 – Zénith [CD]

1999 – Bretagne à Bercy [CD/DVD]

2003 – Nuit celtique 2002 au Stade de France [CD]

2014 – Célébration d’un héritage [CD]

Sources

La ballade de Tom Dooley

En 1866, un ancien soldat confédéré Tom Dula est formellement accusé du meurtre de sa petite amie, Laura Foster, en Caroline du Nord. Pris d’un accès de colère, il lui aurait transpercé le coeur d’un coup de poignard et, deux ans plus tard, aurait été pendu pour ce crime. Ce qui semble être a priori qu’un fait divers sans importance deviendra rapidement une de ces « ballades meurtrières » si chères à la culture musicale des Appalaches, comme Frankie and JohnnyLittle Sadie ou encore Banks of Ohio. Mais voilà, était-il vraiment coupable ? 

Crédit: Jan Kronsell

Relâché d’une prison unioniste au printemps 1865, le soldat Tom Dula est alors âgé de 20 ans et décide de retourner chez sa mère, à Wilkes County. Il désire ardemment revenir auprès d’Ann Melton, une voisine avec laquelle il entretenait une relation avant la Guerre de Sécession. L’année suivante, l’ancien soldat s’acoquine avec Pauline et Laura Foster; non seulement ces deux nouvelles conquêtes sont des cousines d’Ann, mais cette dernière est marié depuis plusieurs années à un certain James Melton. Et comme si cela n’était pas suffisant, ils contractent tous la syphilis à cause… de Pauline. 

Puis, tout bascule le 25 mai 1866. Laura Foster s’enfuit de chez son père avec un de ses fidèles destriers; si le but avoué de sa fugue est de se rendre au Tennessee, elle part cependant dans la direction inverse, vers la maison des Dula. Quelques jours plus tard, le cheval revient seul, s’étant selon toutes apparences détaché. Une rumeur selon laquelle Dula et Ann auraient assassiné Laura commence alors à circuler à cause… de Pauline (décidément). Cette dernière est arrêtée, et questionnée; elle révèlera aux policiers l’emplacement exact de la tombe creuse où a été enterrée le cadavre de l’infortunée Laura. Le couple alarmé s’enfuit à bride abattue mais manque de chance car il est intercepté tout près de la frontière de la Caroline, grâce à un certain James Grayson. Ce dernier avait engagé l’ancien soldat confédéré afin de travailler sur sa ferme et participera à sa capture. Les deux suspects sont rapidement mis sous les verrous, et le verdict prend près de deux ans avant d’être prononcé. Dernier acte de cette comédie noire, Tom Dula signe une confession dans laquelle il exonère Ann de tout soupçon; il finit ses jours au bout d’une corde, alors que sa maîtresse mourra deux ans plus tard, des causes d’une fièvre foudroyante probablement due à sa maladie vénérienne. 

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Une des premières compositions consacrée au drame sera écrite par le Colonel Thomas Land, qui avait vécu à Wilkes après la guerre. Dans ce poème sur la mort de Laura Foster, l’ancien militaire fait référence à Dula et Melton sans les nommer dans la ligne « She met her groom and his vile guest » (« Elle a rencontré son fiancé et sa vile invitée »). Pour lui, il est évident que le couple était de mèche dans le meurtre de la pauvre Laura. S’il s’agit là avant tout d’une oeuvre littéraire, elle sera chantée à quelques occasions sur fond musical. Une autre pièce attribuée à Tom Dula existe aussi, néanmoins il est hautement improbable qu’il en fut l’auteur; celle-ci écrite à la première personne fait état d’un homme qui veut donner son banjo puisqu’il ne pourra plus en jouer après son exécution. Mais c’est en 1867, c’est-à-dire pendant que Dula est toujours en prison et attend le verdict, qu’est composé la populaire The ballad of Tom Dooley; c’est ce qui explique les paroles « You killed poor Laura Foster/And now you’re bound to die » (« Tu as tué la pauvre Laura Foster/Et maintenant, tu vas mourir »). Selon certaines sources, cette ballade aurait été conservée pour la postérité grâce à un certain Calvin Triplett qui vivait à Caldwell County, juste à côté de Wilkes, au moment des faits. S’il y a une modification au niveau du nom, « Dooley » est en fait la prononciation appalachienne de Dula.

 

Crédit: Jan Kronsell

Un premier enregistrement voit le jour le 30 septembre 1929, par le duo Grayson et Whitter. Si l’on reconnaît difficilement la mélodie à cause du violon, c’est pourtant la même qui subsistera dans des adaptations postérieures. Quelques strophes semblent être à la première personne, et une d’entre elles indique clairement que le protagoniste désire donner son violon car il ne lui sera plus d’aucune utilité bientôt – ce qui rappelle la pièce apocryphe attribuée à Tom Dula. Une particularité de la version de Grayson et Whitter, des détails sur la taille de la tombe sont donnés (4 pieds de long, 3 pieds de profondeur). Une deuxième mouture au banjo est interprétée en 1940 par Frank Proffitt, à qui le folkloriste de renom Alan Lomax attribuera à tort la paternité de l’oeuvre. Cependant, fait à noter, la tante de Proffitt lui a transmis la chanson, l’ayant fort probablement entendu de ses parents qui vivaient à Wilkes à la fin des années 1860. Un autre recenseur de chansons folkloriques étasuniennes, Frank Warner, gravera sur disque sa propre version en 1952.

Grayson et Whitter – Tom Dooley

Frank Proffitt – Tom Dooley

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Et, à peine quelques années plus tard, en 1958, c’est la version du Kingston Trio qui deviendra un énorme hit. Composé de Dave Guard, Bob Shane et Nick Reynolds, le trio choisit d’ajouter Tom Dooley à leur répertoire, en ralentissant le tempo. Résultat ? Près de six millions de disques seront écoulés et la goualante contribuera au boom du style folk à la fin des années 50 et début 60, influençant des artistes comme Bob Dylan ou Joan Baez. Un des ajouts du trio musical à la version de Proffitt sera un passage parlé au début de la chanson afin de bien souligner les mauvais présages qu’engendre un triangle amoureux.

Kingston Trio – Tom Dooley

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Plusieurs versions françaises de Tom Dooley voient le jour dès 1958, la même année que le Kingston Trio. Notons premièrement l’adaptation de Max François que chanteront les Compagnons de la Chanson et Philippe Clay sur les arrangements musicaux de Maurice Ricet. Dans celle chantée par Clay, ce dernier ajoute un couplet parlé avant d’entamer la chanson dans lequel il est révélé que Dooley aurait assassiné sa femme car elle l’avait trompé – ce qui n’est dans aucune des trois pièces en anglais. Peut-être voulait-il par là atténuer le meurtre de Laura Foster en prétextant un crime passionnel. L’année d’après, c’est la grande dame de la chanson Line Renaud qui reprendra le morceau, en y ajoutant une petite passe un peu plus « brésilienne », si on peut dire.

Les Compagnons de la Chanson – Tom Dooley (Fais ta prière)

Philippe Clay – (Fais ta prière) Tom Dooley

Line Renaud – Tom Dooley

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Le célèbre parolier Jacques Plante composera à son tour une autre mouture pour Henri Decker; les différences entre les deux chansons sont très marquées. Premièrement, celle de Plante est chantée à la première personne; deuxièmement, l’idée que Dooley aurait tué Laura parce qu’elle en aimait un autre est souligné plus explicitement. De plus, Decker affirme que le protagoniste serait né au Tennessee, alors qu’il venait de Caroline du Nord – ce qui a probablement facilité la rime. Enfin, le choeur affirme qu’il se balancera d’un chêne, un clin d’oeil au morceau de Proffitt/Kingston Trio (« Hanging on a white oak tree »). 

Henri Decker – Tom Dooley

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Paroles

Philippe Clay – (Fais ta prière) Tom Dooley

Les Compagnons de la Chanson – Tom Dooley (Fais ta prière)

Henri Decker – Tom Dooley

Line Renaud – Tom Dooley

Sources

 

 

Une réconciliation souhaitée pour les fêtes – Noël à Jérusalem

En ces temps incertains où l’annonce du président étasunien de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël a soulevé l’ire d’une partie du Proche-Orient et que la guerre perdure en Syrie, nous ne pouvons que souhaiter une accalmie le plus tôt possible et une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens en bonne et due forme. L’espoir d’une paix en Terre Sainte n’est évidemment pas nouveau, et de nombreuses chansons en français ont souligné le désir d’un rapprochement interreligieux. Parmi celles-ci, nous avons retenu Noël à Jérusalem, créée il y a presque cinquante déjà. La genèse de cette pièce commence en 1967, lorsque Israël prend possession de la Cisjordanie pendant la Guerre des Six Jours. Cette conquête permet aux Juifs de pouvoir se rendre au Mur des Lamentations, haut lieu de pèlerinage, dont l’accès avait été restreint voire interdit aux citoyens d’Israël depuis 1948 par la Jordanie.

L’année suivante, en 1968, Enrico Macias se rend en Israël, accompagné d’une équipe de la télévision française afin de filmer Jérusalem du point de vue d’un Juif (c’est-à-dire lui-même), d’un Chrétien et d’un Musulman. Au même moment, Joseph Kessel est lui aussi à Jérusalem pour tourner un documentaire intitulé Un mur à Jérusalem. Un jour, Louis Hazan, le PDG de Phonogram, appelle le natif de Constantine pour lui demander de composer la musique dudit film. Enrico accepte, et part avec sa guitare s’installer devant ce mur de toutes les prières et de tous les espoirs; inspiré par l’exaltation des croyants, il compose une mélodie dont il a le secret. Le lendemain, il reçoit une mauvaise nouvelle de la part d’Hazan: Kessel a déjà trouvé une musique pour son film. Macias conserve sa composition, et retourne en France, où il retrouve un de ses paroliers fétiches, Jacques Demarny. Lorsque ce dernier entend le périple d’Enrico en Terre Sainte, il réagit tout de suite: Pourquoi ne pas composer une chanson sur le Mur à Jérusalem ? Macias accepte et lui suggère d’y représenter les fidèles des trois religions monothéistes, réunis pacifiquement pour un Noël… à Jérusalem.

Enrico Macias – Noël à Jérusalem

Pour la petite histoire, les disc-jockeys de l’époque mirent la goualante dans la même catégorie des chansons de Noël comme Petit Papa Noël, au lieu d’y voir un hymne, une prière pour la paix au Proche-Orient.

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Paroles

Enrico Macias – Noël à Jérusalem

Sources

  • ZEITOUN, F. Toutes les chansons ont une histoire : Petite chronique des tubes d’avant-guerre à nos jours. Paris : Ramsay, 2000, p. 108-110.

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création de Peter Mulligan.

La chanson du consentement – Tu veux ou tu veux pas

Chanteur brésilien peu connu hors de son pays natal, Wilson Simonal avait fait ses débuts comme crooner de rock n’ roll et chantre de calypso, avant de s’orienter sur les conseils de Ronaldo Boscoli vers la samba traditionnelle et la bossa nova. Rappelant par moment Harry Belafonte ou James Brown, il avait une certaine suavité de Carioca communicative.  Après son tournant musical, sa carrière prend de l’ampleur, et ce, malgré quelques controverses. En effet, Simonal interprétera une chanson sur l’emploi du sucre comme talc (Mamãe passou açúcar em mim) à une époque où la cocaïne fait des ravages autant dans les classes supérieures que dans les favelas. Puis, il s’approprie la pièce de Ben Jorge País Tropical, en modifiant les paroles et en y glissant des slogans commerciaux pour une compagnie pétrolière… avant même d’avoir acheté les droits. Il connaîtra aussi des démêlés avec la justice brésilienne lorsque la dictature des généraux prendra fin en 1984; si on l’accusera d’extorsion de fonds à l’endroit de prisonniers politiques, Simonal se défendra en disant qu’il n’était qu’un indicateur. Condamné, il sera ostracisé du monde musical brésilien, avant de mourir en 2000.

Outre les goualantes nommées plus haut, un de ses succès sera sans contredit Nem vem que não tem, composé par Carlos Imperial. Le titre de la chanson peut être traduit littéralement en français par: « Ne viens pas car tu ne l’auras pas ». C’est une expression signifiant qu’on demande l’impossible ou tout simplement si on ne veut pas parler d’un sujet avec quelqu’un. 

Wilson Simonal – Nem vem que não tem

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C’est en 1969 que la chanson fait son chemin jusqu’en France, par l’entremise d’un clarinettiste et saxophoniste jazz qui n’a pourtant rien d’un chanteur à la mode. Maigrichon, moustachu, avec des lunettes et un bob qu’il ne quitte jamais, Marcel Zanini se voit offrir par Léo Missir, directeur chez Barclay, l’adaptation française de Nem vem que não tem, signée par Pierre Cour. Devenue Tu veux ou tu veux pas, la pièce est enregistrée est une récidive du jazzman, puisqu’il avait sorti l’année précédente un 45 tours avec Un scotch, un bourbon, une bière comme goualante principale, et un autre disque Tout le monde aime ma baby en 1966.

Cependant, il y a un hic. Quelqu’un d’autre vient d’entendre la chanson, et désire la mettre ardemment à son répertoire, il s’agit d’une chanteuse qui a déjà interprété des pièces brésiliennes… Brigitte Bardot ! En effet, la plantureuse blonde estime que le sous-texte sexuel de Tu veux ou tu veux pas conviendrait beaucoup mieux à un sex symbol qu’à Zanini. Après une chaude lutte avec les producteurs, c’est l’homme au bob qui l’emporte et c’est son 45 tours qui se retrouvera dans les bacs et à la radio, avant celle de Bardot.  Ce sera un véritable succès pour le jazzman, qui enfilera coup sur coup plusieurs 45 tours dans les années 70, alors que la carrière musicale de Brigitte s’estompera après 1973. 

Peut-être lui avait-on demandé, pour le convaincre, s’il voulait ou ne voulait pas, que c’était comme-ci ou comme ça…

Marcel Zanini – Tu veux ou tu veux pas

Brigitte Bardot – Tu veux ou tu veux pas

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Paroles

Brigitte Bardot – Tu veux ou tu veux pas

Marcel Zanini – Tu veux ou tu veux pas

Sources

  • DELFINO, J. P. COULEURS BRASIL: Petites et grandes histoires de la musique brésilienne. Mercuès: Le Passage, 2014.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [http://www.encyclopedisque.fr/] Consulté le 20 décembre 2017.
  • ROSE, A., VALE, N. et CAÇADOR, J. Party Brazil Phrasebook 2014: Slang, Music, Fun and Futebol. Berkeley: Ulysses Press, 2014, p. 61.