Christophe, de son vrai nom Daniel Bevilacqua, rêvait de devenir coureur automobile lorsqu’il était jeune et ce sera un slow (« lent » en anglais) qui lui donnera la pole position au hit-parade ! En 1965, le jeune chanteur est chez le dentiste et, alors que ce dernier s’apprête à lui soigner une carie, il appelle son assistante… Aline. C’est alors que Christophe s’imagine la chanson qui le propulsera en tête du palmarès; l’histoire n’a cependant pas retenu si les paroles « et j’ai pleuré, pleuré, car j’avais trop de peine » ont aussi été inspirées lors du même rendez-vous. Il enregistre un 45 tours pour AZ et c’est le hit de l’été dans plusieurs pays, en France, en Belgique, au Brésil, en Turquie et en Israël. Fait particulier, Aline se vendra à plus d’un million de vente, alors que Elle s’appelait Sophie, le premier 45 tours de Christophe, s’est écoulé à… 27 exemplaires.
Christophe – Aline
***
Cependant, il y a une ombre triste au tableau d’Aline. En effet, un autre chanteur yéyé, Jacky Moulière, attaque Christophe en justice et lui reproche d’avoir plagié sa chanson La Romance, sortie deux ans plutôt dans l’indifférence générale. Si Moulière (et Henri Salvador, son producteur) gagne en premières instances, Christophe sera finalement relaxé lors de l’appel en 1970. Si plusieurs s’accordent pour dire que la paternité intégrale revient au chanteur blond, il semble toutefois qu’il y a effectivement une ressemblance troublante entre les deux goualantes, surtout au point de vue musical.
Jacky Moulière – La Romance
En 1980, la femme de Christophe, Véronique, lui propose de sortir à nouveau Aline – sans arrangements, ni remixage. Ce nouveau single s’écoulera à un autre million d’exemplaires. Il faut croire que certaines visites chez le dentiste peuvent être plus fructueuses qu’on ne le pense…
La genèse de la chanson Céline est souvent qualifiée de franco-américaine, car celle-ci commence aux États-Unis. En effet, au milieu des années 60, Mort Shuman décide de quitter l’Amérique au profit de l’Europe, et s’installe en Angleterre en 1965, puis en France l’année suivante. Shuman, qui avait composé pour plusieurs artistes comme Elvis Presley, fait la rencontre de Vline Buggy, parolière ayant connu plusieurs succès (Ma biche de Frank Alamo; Les portes du pénitencier de Johnny Hallyday), afin de créer ensemble de futurs hits. Parmi les compositions du musicien, une en particulière séduit Vline Buggy, de son vrai nom Liliane Konyn, et lui rappelle une mélodie russe… S’inspirant du nom d’une cousine de sa mère, la parolière imagine le sacrifice d’une soeur aînée pour sa famille, peut-être songeant à Évelyne, sa soeur aînée, décédée prématurément en 1962.
Une fois écrite, elle décide de la proposer à Claude François, avec qui elle enchaîne tube sur tube depuis quelques années; ce dernier, influencé par son gérant Lederman et sa petite amie France Gall, refuse d’ajouter ce morceau à son répertoire car il ne la trouvait pas assez moderne. Vline Buggy se tourne alors vers Hugues Aufray pour l’interpréter et il accepte de le faire. La goualante obtient alors un immense succès en France, et de nombreuses filles sont baptisées Céline partout où la chanson est entendue. Pour l’anecdote, une mère québécoise nommée Thérèse Dion choisira ce prénom pour sa fille née en 1968… Le hasard fait bien les choses puisque Céline Dion, chanteuse francophone qui connaîtra du succès aux États-Unis, fera en quelque sorte l’inverse du parcours de la chanson…
En 1963, le tandem Bécaud-Delanoë frappe derechef et en plein milieu de la cible, près de 10 années après leur première rencontre. Cette fois-ci, le sujet étonne un peu. Et pour cause ! Delanoë, un anticommuniste avoué – il devra être convaincu bien de force par Sardou pour écrire quelque chose de favorable pour le régime russe dans Vladimir Illitch – s’avère un russophile cependant ! Pour présenter un peuple bien loin des chefs communistes qui la dirige, Delanoë rédige les premières lignes en s’inspirant de l’imagerie typique de Moscou, comme la place Rouge. L’héroïne prénommée Natacha porte déjà en elle un succès à venir : Qu’elle était jolie cette Russe rousse/Sur la place Rouge/Natacha des lointaines Russies…
Pourtant Bécaud, à la première lecture, n’est pas inspirée par la Moscovite. Cela prendra plusieurs mois – au cours desquels Delanoë reviendra à la charge – avant que Monsieur 100 000 volts n’acceptât enfin de composer la musique qui accompagnerait la chanson à venir. Le parolier profita du fait qu’ils étaient tous deux dans leur cabane du Chesnais, où était né plusieurs créations, pour lui glisser les deux premières lignes :
La place Rouge était vide Devant moi marchait Nathalie…
L’homme à la cravate à pois n’en a pas besoin de plus ; assis au piano, il compose rageusement la presque totalité de la musique et, la même journée, Delanoë termina la redaction du texte. Il s’agit d’ailleurs d’une drôle de chanson : composée en 1964, juste après la crise des missiles de Cuba et la même année que le remplacement de Khrouchtchev par Brejnev, elle dépeint de façon positive la vie moscovite. Pour le lancement du disque, Georges Cravenne a une idée du tonnerre : il convie le gratin parisien sur la place Rouge et, pour leur visite de la capitale, un guide prénommée…Nathalie ! Même si le succès se fait attendre en France, la chanson semble cartonner à l’étranger ; il paraît qu’un soir, alors qu’il était en coulisses de l’Olympia, Delanoë se fit empoigner à la russe par l’ambassadeur de l’Union Soviétique, le camarade Vinogradov. La raison ? Nathalie charmait en Amérique du Sud, provoquant de la sympathie pour l’URSS par la même occasion…
En 1967, alors qu’ils sont à Berlin-Est, Bécaud et Delanoë découvrent que le morceau est bien connu des Allemands, à une petite différence près : Nathalie est une espionne d’Oncle Sam dans l’adaptation allemande !
Gilbert Bécaud – Nathalie
Clin d’oeil
Au début des années 80, Bécaud et Delanoë composent une suite à la chanson, intitulée fatalement La fille de Nathalie. Dans cette chanson-ci, qui se déroule à Léningrad plutôt qu’à Moscou, une jeune étudiante parle sa vie actuelle en Russie et de son désir de voir le monde. Sous l’aspect d’une lettre écrite à son père (Gilbert Bécaud, évidemment), elle souligne la dure réalité des Russes pour obtenir un passeport pour voyager, pour voir son paternel qui vit en France. L’hiver (lire le régime communiste) est toujours en place, froid et implacable, mais « c’est bientôt le printemps« . Parlant de sa mère (Nathalie), elle se demande ce qu’était la vie autrefois et il y a l’inévitable clin d’oeil à la désormais célèbre chanson :
Avec maman, quand le cœur est au gris Après l’dîner, on se passe « Nathalie » Ça la fait un peu pleurer Et moi, ça me fait danser
Rappelle-toi, la place était vide Et dans ce temps-là, maman était guide Pouchkine, elle en parle tout l’temps C’était son bon temps
Gilbert Bécaud – La fille de Nathalie
Pour la petite histoire, Monsieur 100 000 volts sera invité à Moscou en 1987, par le biais de l’association France-URSS. Bécaud, accompagné par une journaliste du nom de Tatiana Boutchoskaïa, visitera plusieurs recoins de la capitale soviétique ; la visite se terminera dans un petit bistrot sympa qui n’était nul autre que… le café Pouchkine ! Une autre version présente Pierre Delanoë dans le rôle principal… Même si cette histoire est très certainement apocryphe (le premier café Pouckine ne verra le jour qu’en 1999), elle permet tout de même de dire qu’une chanson peut voyager bien au-delà des barrières linguistiques et culturelles…