La ballade de Tom Dooley

En 1866, un ancien soldat confédéré Tom Dula est formellement accusé du meurtre de sa petite amie, Laura Foster, en Caroline du Nord. Pris d’un accès de colère, il lui aurait transpercé le coeur d’un coup de poignard et, deux ans plus tard, aurait été pendu pour ce crime. Ce qui semble être a priori qu’un fait divers sans importance deviendra rapidement une de ces « ballades meurtrières » si chères à la culture musicale des Appalaches, comme Frankie and JohnnyLittle Sadie ou encore Banks of Ohio. Mais voilà, était-il vraiment coupable ? 

Crédit: Jan Kronsell

Relâché d’une prison unioniste au printemps 1865, le soldat Tom Dula est alors âgé de 20 ans et décide de retourner chez sa mère, à Wilkes County. Il désire ardemment revenir auprès d’Ann Melton, une voisine avec laquelle il entretenait une relation avant la Guerre de Sécession. L’année suivante, l’ancien soldat s’acoquine avec Pauline et Laura Foster; non seulement ces deux nouvelles conquêtes sont des cousines d’Ann, mais cette dernière est marié depuis plusieurs années à un certain James Melton. Et comme si cela n’était pas suffisant, ils contractent tous la syphilis à cause… de Pauline. 

Puis, tout bascule le 25 mai 1866. Laura Foster s’enfuit de chez son père avec un de ses fidèles destriers; si le but avoué de sa fugue est de se rendre au Tennessee, elle part cependant dans la direction inverse, vers la maison des Dula. Quelques jours plus tard, le cheval revient seul, s’étant selon toutes apparences détaché. Une rumeur selon laquelle Dula et Ann auraient assassiné Laura commence alors à circuler à cause… de Pauline (décidément). Cette dernière est arrêtée, et questionnée; elle révèlera aux policiers l’emplacement exact de la tombe creuse où a été enterrée le cadavre de l’infortunée Laura. Le couple alarmé s’enfuit à bride abattue mais manque de chance car il est intercepté tout près de la frontière de la Caroline, grâce à un certain James Grayson. Ce dernier avait engagé l’ancien soldat confédéré afin de travailler sur sa ferme et participera à sa capture. Les deux suspects sont rapidement mis sous les verrous, et le verdict prend près de deux ans avant d’être prononcé. Dernier acte de cette comédie noire, Tom Dula signe une confession dans laquelle il exonère Ann de tout soupçon; il finit ses jours au bout d’une corde, alors que sa maîtresse mourra deux ans plus tard, des causes d’une fièvre foudroyante probablement due à sa maladie vénérienne. 

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Une des premières compositions consacrée au drame sera écrite par le Colonel Thomas Land, qui avait vécu à Wilkes après la guerre. Dans ce poème sur la mort de Laura Foster, l’ancien militaire fait référence à Dula et Melton sans les nommer dans la ligne « She met her groom and his vile guest » (« Elle a rencontré son fiancé et sa vile invitée »). Pour lui, il est évident que le couple était de mèche dans le meurtre de la pauvre Laura. S’il s’agit là avant tout d’une oeuvre littéraire, elle sera chantée à quelques occasions sur fond musical. Une autre pièce attribuée à Tom Dula existe aussi, néanmoins il est hautement improbable qu’il en fut l’auteur; celle-ci écrite à la première personne fait état d’un homme qui veut donner son banjo puisqu’il ne pourra plus en jouer après son exécution. Mais c’est en 1867, c’est-à-dire pendant que Dula est toujours en prison et attend le verdict, qu’est composé la populaire The ballad of Tom Dooley; c’est ce qui explique les paroles « You killed poor Laura Foster/And now you’re bound to die » (« Tu as tué la pauvre Laura Foster/Et maintenant, tu vas mourir »). Selon certaines sources, cette ballade aurait été conservée pour la postérité grâce à un certain Calvin Triplett qui vivait à Caldwell County, juste à côté de Wilkes, au moment des faits. S’il y a une modification au niveau du nom, « Dooley » est en fait la prononciation appalachienne de Dula.

 

Crédit: Jan Kronsell

Un premier enregistrement voit le jour le 30 septembre 1929, par le duo Grayson et Whitter. Si l’on reconnaît difficilement la mélodie à cause du violon, c’est pourtant la même qui subsistera dans des adaptations postérieures. Quelques strophes semblent être à la première personne, et une d’entre elles indique clairement que le protagoniste désire donner son violon car il ne lui sera plus d’aucune utilité bientôt – ce qui rappelle la pièce apocryphe attribuée à Tom Dula. Une particularité de la version de Grayson et Whitter, des détails sur la taille de la tombe sont donnés (4 pieds de long, 3 pieds de profondeur). Une deuxième mouture au banjo est interprétée en 1940 par Frank Proffitt, à qui le folkloriste de renom Alan Lomax attribuera à tort la paternité de l’oeuvre. Cependant, fait à noter, la tante de Proffitt lui a transmis la chanson, l’ayant fort probablement entendu de ses parents qui vivaient à Wilkes à la fin des années 1860. Un autre recenseur de chansons folkloriques étasuniennes, Frank Warner, gravera sur disque sa propre version en 1952.

Grayson et Whitter – Tom Dooley

Frank Proffitt – Tom Dooley

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Et, à peine quelques années plus tard, en 1958, c’est la version du Kingston Trio qui deviendra un énorme hit. Composé de Dave Guard, Bob Shane et Nick Reynolds, le trio choisit d’ajouter Tom Dooley à leur répertoire, en ralentissant le tempo. Résultat ? Près de six millions de disques seront écoulés et la goualante contribuera au boom du style folk à la fin des années 50 et début 60, influençant des artistes comme Bob Dylan ou Joan Baez. Un des ajouts du trio musical à la version de Proffitt sera un passage parlé au début de la chanson afin de bien souligner les mauvais présages qu’engendre un triangle amoureux.

Kingston Trio – Tom Dooley

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Plusieurs versions françaises de Tom Dooley voient le jour dès 1958, la même année que le Kingston Trio. Notons premièrement l’adaptation de Max François que chanteront les Compagnons de la Chanson et Philippe Clay sur les arrangements musicaux de Maurice Ricet. Dans celle chantée par Clay, ce dernier ajoute un couplet parlé avant d’entamer la chanson dans lequel il est révélé que Dooley aurait assassiné sa femme car elle l’avait trompé – ce qui n’est dans aucune des trois pièces en anglais. Peut-être voulait-il par là atténuer le meurtre de Laura Foster en prétextant un crime passionnel. L’année d’après, c’est la grande dame de la chanson Line Renaud qui reprendra le morceau, en y ajoutant une petite passe un peu plus « brésilienne », si on peut dire.

Les Compagnons de la Chanson – Tom Dooley (Fais ta prière)

Philippe Clay – (Fais ta prière) Tom Dooley

Line Renaud – Tom Dooley

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Le célèbre parolier Jacques Plante composera à son tour une autre mouture pour Henri Decker; les différences entre les deux chansons sont très marquées. Premièrement, celle de Plante est chantée à la première personne; deuxièmement, l’idée que Dooley aurait tué Laura parce qu’elle en aimait un autre est souligné plus explicitement. De plus, Decker affirme que le protagoniste serait né au Tennessee, alors qu’il venait de Caroline du Nord – ce qui a probablement facilité la rime. Enfin, le choeur affirme qu’il se balancera d’un chêne, un clin d’oeil au morceau de Proffitt/Kingston Trio (« Hanging on a white oak tree »). 

Henri Decker – Tom Dooley

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Paroles

Philippe Clay – (Fais ta prière) Tom Dooley

Les Compagnons de la Chanson – Tom Dooley (Fais ta prière)

Henri Decker – Tom Dooley

Line Renaud – Tom Dooley

Sources