Une chanson qui a marqué nominalement une génération – Céline d’Hugues Aufray

La genèse de la chanson Céline est souvent qualifiée de franco-américaine, car celle-ci commence aux États-Unis. En effet, au milieu des années 60, Mort Shuman décide de quitter l’Amérique au profit de l’Europe, et s’installe en Angleterre en 1965, puis en France l’année suivante. Shuman, qui avait composé pour plusieurs artistes comme Elvis Presley, fait la rencontre de Vline Buggy, parolière ayant connu plusieurs succès (Ma biche de Frank Alamo; Les portes du pénitencier de Johnny Hallyday), afin de créer ensemble de futurs hits. Parmi les compositions du musicien, une en particulière séduit Vline Buggy, de son vrai nom Liliane Konyn, et lui rappelle une mélodie russe… S’inspirant du nom d’une cousine de sa mère, la parolière imagine le sacrifice d’une soeur aînée pour sa famille, peut-être songeant à Évelyne, sa soeur aînée, décédée prématurément en 1962.

Une fois écrite, elle décide de la proposer à Claude François, avec qui elle enchaîne tube sur tube depuis quelques années; ce dernier, influencé par son gérant Lederman et sa petite amie France Gall, refuse d’ajouter ce morceau à son répertoire car il ne la trouvait pas assez moderne. Vline Buggy se tourne alors vers Hugues Aufray pour l’interpréter et il accepte de le faire. La goualante obtient alors un immense succès en France, et de nombreuses filles sont baptisées Céline partout où la chanson est entendue. Pour l’anecdote, une mère québécoise nommée Thérèse Dion choisira ce prénom pour sa fille née en 1968… Le hasard fait bien les choses puisque Céline Dion, chanteuse francophone qui connaîtra du succès aux États-Unis, fera en quelque sorte l’inverse du parcours de la chanson…

Hugues Aufray – Céline

Paroles

Hugues Aufray – Céline

Sources

  • ICHBIAH, D. 50 ans de chansons françaises. Ichbiah éditeur, 2012.
  • LECOEUVRE, F. Petites histoires des grandes chansons. Éditions du Rocher, 2009, p. 58-59.

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création d’Anirudh Koul.

De l’Opéra de Quat’ sous à Armstrong en passant par Boris Vian – La complainte de Mackie

En 1728, John Gay a composé un opéra en trois actes intitulé The Beggar’s Opera, ou L’Opéra du gueux en français. La pièce mettait en scène MacHeath, un bandit de grand chemin sévissant dans les bas-fonds de Newgate, porte de Londres réputée pour sa prison. Désirant épouser Polly Peachum, MacHeath s’était attiré l’ire de son beau-père, un receleur qui décide alors de tout faire pour qu’il soit arrêté et éventuellement exécuté. « Mackie » parvient à se sauver une première fois, mais il est repris, et alors qu’il allait être pendu, sa sentence est suspendue pour plaire au public. L’idée originale de la pièce aurait été conçue par Jonathan Swift, mais celui-ci penchait plutôt pour un opéra pastoral entre assassins et putains; Gay préférera créer un opéra satirique. 

En 1928, la traduction allemande qu’Elizabeth Hauptmann avait faite de The Beggar’s Opera sera adaptée avec succès par Bertolt Brecht (paroles) et Kurt Weill (musique) sous le titre Die Dreigroschenoper. Assez fidèle à l’original, la nouvelle adaptation se passe dans l’Angleterre de la fin du 19e siècle, où l’amour impossible entre le criminel MacHeath et Polly Peachum mène le père de cette dernière à vouloir faire arrêter (et exécuter) son gendre. Sauvé in extremis, MacHeath reçoit le pardon de la reine Victoria avant d’être créer baron. Conçue comme une attaque contre la bourgeoisie et le système capitaliste, la pièce ne réussira pas tout à fait le « dynamitage de l’intérieur de l’art bourgeois » que désirait Brecht.

Lotte Lenya – Die Moritat von Mackie Messer

Parmi les pièces musicales utilisées ou créées par Kurt Weill, il y aura Die Moritat von Mackie Messer, probablement la plus connue de l’opéra. Cette chanson sera traduite une première fois dans les années 30, avant d’être ré-adaptatée à nouveau en 1954 par Marc Blitzstein sous le titre Mack the Knife. Le succès qu’aura ce morceau est assez éloquent: Louis Armstrong en fera un standard de jazz en 1956 et Bobby Darin l’immortalisera pour de bon avec sa version de 1959.

Louis Armstrong – Mack the Knife

Bobby Darin – Mack the Knife

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La première adaptation française de Die Moritat von Mackie Messer se fait lorsque l’opéra est transposé sur le grand écran en 1931. La chanson devient La complainte de Mackie grâce à André Mauprey, et elle est interprétée par Florelle, une chanteuse soprano très en vogue dans les années 30. Une autre version verra le jour la même année et sera chantée par la grande chanteuse réaliste Damia; il faut surtout remarquer la variation entre ces deux premiers morceaux, et comment la frénésie du tempo de la deuxième pièce y ajoute une dimension plus tragique, surtout la fin plus langoureuse.

Florelle – La complainte de Mackie

Damia – La complainte de Mackie

En 1956, l’artiste multidisciplinaire italo-française Caterina Valente entonnera La complainte de Mackie sur un fond de musique plus latinisant alors que, deux ans plus tard, Hugues Aufray reprendra cette goualante à une sauce beaucoup plus jazz, ayant été très certainement plus inspiré par la mouture d’Armstrong. C’est également en 1956 que Boris Vian réécrira une autre adaptation, qui sera interprétée par Catherine Sauvage. Avec l’ajout de scènes plus explicites (Jenny Towler agonise/Un couteau entre les seins) et en évitant les rimes plutôt simplistes de la première version, Vian donnera beaucoup plus de vivacité à la chanson. Il faut aussi dire que sa version est plus près de l’original allemand que celle de Mauprey.

Enfin, plus près de nous, la chanteuse hollandaise Laura Fygi chantera la pièce en français sur son album Rendez-vous; fait à noter, elle reprend les paroles de Vian mais sur un fond plutôt jazzé à la Armstrong. Depuis sa création, la pièce Die Moritat von Mackie Messer – créée avant tout pour l’adaptation d’une traduction – se sera incarnée et métamorphosée dans autant de langues et de musiques par son rythme accrocheur, un plaisir dont nous ne pouvons pas nous complaindre!

Caterina Valente – La complainte de Mackie

Hugues Aufray – La complainte de Mackie

Catherine Sauvage – La complainte de Mackie

Laura Fygi – La complainte de Mackie

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Paroles

Hugues Aufray – La complainte de Mackie

Damia – La complainte de Mackie

Florelle – La complainte de Mackie

Catherine Sauvage – La complainte de Mackie

Caterina Valente – La complainte de Mackie

Sources

  • DIETZ, D. The Complete Book of 1970s Broadway Musicals. Lanham; London: Rowman & Littlefield, 2015, p. 297.
  • FISCHBACH, F. L’évolution politique de Bertolt Brecht de 1913 à 1933. Vol. 2. Presses Univ. Septentrion, 1976.
  • TRAUBNER, R. Operetta: a theatrical history. Taylor & Francis, 2003, p. 11.

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création de Roland63perceval.