Une danse tout en argot – La java javanaise

Alors qu’aujourd’hui la langue parlée dans les rues de Paris ne semble vibrer qu’aux inversions du verlan, c’était tout autre chose au 19e siècle. En effet, il y avait à cette époque de nombreux jargons propres à certaines professions; si le louchébem était le jargon des bouchers, le javanais était un argot particulier surtout restreint au monde « des coulisses et des filles ». Si l’origine du nom reste encore difficile à cerner de nos jours, la composition du javanais était toute simple: il suffisait d’ajouter « av » ou « va » après chaque syllabe, afin de confondre toute personne profane qui tenterait d’écouter une conversation entre initiés. Voyez si vous pouvez, à première lecture, comprendre la phrase suivante:

« Bavonjavour lesva avamavataveurs desva chavansavon! »

En 1956, Boris Vian compose La java javanaise dans laquelle il s’amuse à user de cet argot qui était alors en déclin, voire tout à fait tombé en désuétude. Après une première strophe en français, le même texte est répété et adapté en javanais, ce qui donne un mélange incompréhensible à l’oral. Et évidemment, le tout sur fond de java pour bien boucler la boucle!

L’année suivante, la pièce est offerte à Louis Massis, jeune comédien alors prometteur et qui fait partie des « Nouvelles Têtes de la Chanson », dont chaque membre enregistrera un disque le même jour. Malheureusement pour l’interprète, aucune des « Nouvelles Têtes » n’obtiendra de grands succès dans leur carrière respective. Ça a été fort dommage dans son cas, puisqu’il avait une certaine affinité pour le comique, ce qui transparaît beaucoup plus dans son interprétation d’une autre composition de Vian (Frankenstein). 

Louis Massis – La java javanaise

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Paroles

Louis Massis – La java javanaise

Sources

  • DELVAU, A. Dictionnaire de la langue verte: Argots parisiens comparés. Paris: E. Dentu Éditeur, 1867.
  • DICALE, B. Les Miscellanées de la chanson française. Sine loco: Fetjaine, 2011, p. 9.
  • VIAN, Boris. Chansons [éd. G. Unglik]. Paris: Christian Bourgois Éditeur, 1994 [1984].
  • VIAN, Boris. En avant la zizique [éd. G. Unglik]. Paris: Le Livre de Poche, 2006.

 

Les sacrés monstres en chanson – Frankenstein

Crédit: Charles D. Hall

Désirant créer un être humain de toutes pièces, le docteur Victor Frankenstein rapièce sans scrupules différents cadavres de criminels exécutés à cette fin. La création est cependant loin d’être à la hauteur du docteur et, loin du proverbial pygmalion, le docteur la rejette presque aussitôt. La pauvre créature erre se laissant choir dans un désespoir et une démence qui l’amèneront bien vite au meurtre… Imaginé par Mary Shelley au 19e siècle, le « Prométhée moderne » est aujourd’hui une des figures incontournables de l’épouvante classique, et s’est taillé au fil des ans une place de choix – entre Dracula et le Loup-Garou – au panthéon de l’horreur. Mais le monstre de Frankenstein ne s’est pas confiné qu’aux annales de la littérature. Le personnage de Shelley s’est en effet illustré au cinéma – premièrement en 1910 – mais c’est surtout l’interprétation de Boris Karloff dans le film éponyme de 1931 qui marquera les esprits.

Dans le domaine de la chanson, c’est un autre Boris, Vian celui-là, qui créera un morceau intitulé tout simplement Frankenstein, dans lequel il met en scène le monstre de façon plutôt farfelue – imaginant un duo à la guitare et au biniou avec le Prométhée moderne et en lui attribuant un « grand ami » appartenant aussi au domaine de la nuit qui n’est autre que la création de Souvestre et Allain, Fantômas ! Il existe au moins deux versions de cette chanson, l’une interprétée par Louis Massis, et l’autre par Roland Gerbeau. Si les deux artistes restent assez fidèles au texte – poussant même des grognements associés au monstre – Massis improvise une conversation entre un chanteur et sa principale choriste (lui-même, avec une voix fluette) qui se termine par un assassinat au verre d’eau empoisonné, ajoutant encore plus au macabre.

Louis Massis – Frankenstein

Roland Gerbeau – Frankenstein


Clin d’oeil

Boule et Bill - Frankenstein

Dans un de ses albums de Boule et Bill, Roba utilise la chanson pour un gag. Afin d’agrandir sa collection de timbres, Boule a lâché un ballon de baudruche auquel il avait accroché une carte postale – qui portait son adresse et qui devait lui être retournée par voie postale. Malheureusement, le ballon se dirige tout droit sur l’aiguille d’un boxeur poids lourd reprisant ses chaussettes et CLAC ! Pour mettre le pugiliste dans un état d’esprit encore plus propice à la frayeur, Roba lui fait écouter avidement la chanson Frankenstein…

D’autres versions

Au début des années 60, une des enfants terribles du rock n’ roll français interprète à sa façon une chanson à propos du Prométhée moderne. En effet, Nicole Paquin chante une version en français du morceau You can get him, Frankenstein, de Phil Spector et Ahmet Ertegun. Sous le nouveau titre de Mon mari, c’est Frankenstein, la sulfureuse chanteuse clame adorer son hypothétique mari, pourtant qui a tout du croquemitaine…

Le 23 mai 1972, France Gall sort un nouveau 45 tours – une mixture signée Serge Gainsbourg – qui aura pour la Face A une chanson intitulée Frankenstein. Dans cette version-ci, il y a clairement des allusions au film de 1931, dont les écrous qu’il a au cou, de même que la fiancée qu’il a étranglée…

Paroles

France Gall – Frankenstein

Roland Gerbeau – Frankenstein

Louis Massis – Frankenstein

Nicole Paquin – Mon mari, c’est Frankenstein

Sources

GAINSBOURG, S., BOUVIER, Y. F. et VINCENDET, S. L’intégrale et caetera. Bartillat, 2005, p. 448-449. 

ROBA. 60 Gags de Boule et Bill. Dupuis, 1977, p. 16.