Et Dieu créa Brigitte – Bardot et la chanson française

Crédit photo: Michel Bernanau

Plantureuse blonde aux attraits ne laissant personne indifférent, Brigitte Bardot a très certainement été le plus grand sex-symbol français des années 50 et 60. Égérie d’une génération sexuellement libérée, elle a su s’imposer dans de nombreux longs métrages mettant de l’avant ses sulfureux atouts – il ne suffit que de penser au film de Roger Vadim qui l’a rendue célèbre, Et Dieu créa la femme, en 1956. Mais, parallèlement à sa carrière sur le grand écran, Bardot a également connu du succès dans la chanson, principalement grâce au talent de Serge Gainsbourg. Son premier disque sortira en 1962, et il s’agira de pièces extraites du film Vie Privée, un film de Louis Malle. Elle y interprète entre autres Sidonie, un poème de Charles Cros originalement intitulé Triolets Fantaisistes. La première ligne donne le ton – Sidonie a plus d’un amant – car cela deviendra un thème récurrent chez Bardot.

Brigitte Bardot – Sidonie

Au fil des Sixties, elle gravera plusieurs 45 tours dont quelques pièces seront émaillées de paysages d’été, de soleil et de ciel bleu… mais dont la plupart évoqueront aussi une sensualité épanouie. Ainsi, la chanson Ciel de lit évoque une femme ayant un mari et un amant à la fois, passant une partie de son temps « en ciel de lit » entre les deux hommes; Jamais trois sans quatre raconte l’histoire d’une jeune femme qui danse et qui embrasse ses partenaires à bouche que veux-tu, alors que la pièce Je me donne à qui me plaît n’a pas besoin d’être détaillée puisque le titre est lui-même assez explicite…

Brigitte Bardot – Ciel de lit

Brigitte Bardot – Jamais trois sans quatre

Brigitte Bardot- Je me donne à qui me plaît

***

Dès 1958, Ray Ventura et ses Collégiens enregistrent Bardot Mambo, probablement inspiré d’une scène du film de Vadim évoqué plus haut. Trois ans plus tard, c’est au tour de Dario Moreno de graver sur disque une goualante au sujet de la belle blonde. Le chanteur d’origine turque chantera, en 1961, une pièce intitulée Brigitte Bardot, la version française d’une pièce de Miguel Gustavo originalement interprétée en portugais par Jorge Veiga sur fond de musique de bal brésilienne. Traduite par Lucien Morisse et André Salvet, la chanson conserve cependant les paroles originales en guise de deuxième partie.

Dario Moreno – Brigitte Bardot

Si on peut se demander ce qui a motivé Moreno à ajouter ce morceau à son répertoire, il ne faut pas oublier que dans les années 50 et 60, Dario était surtout connu pour ses pièces brésiliennes (mambo, samba) et qu’il aurait été pressenti pour interpréter toute chanson provenant du Brésil. Ajoutons aussi qu’il connaissait Brigitte, puisqu’ils ont tous deux joué ensemble dans le film Voulez-vous danser avec moi, un film de Michel Boisrond sorti en 1959. Dans la scène qui suit, nous pouvons voir Moreno et Bardot se trémousser en interprétant un tango (ballroom) et un mambo. Ne pouvant plus résister au corps de sa partenaire, Dario s’empresse de caresser la sculpturale blonde… avant de recevoir une gifle en guise de réaction!

***

C’est en 1967, alors qu’ils répètent ensemble un spectacle de fin d’année pour la télévision, que Gainsbourg et Bardot tombent follement amoureux. L’homme à tête de chou, sous l’influence de sa muse érotique, lui compose plusieurs chansons dont Bonnie & Clyde, d’après le célèbre couple de gangsters voué à une fin terrible. Mais malheureusement pour lui, cette goualante était peut-être prémonitoire puisque l’idylle prend fin abruptement après trois mois. Blessé, Gainsbourg compose alors une de ses pièces les plus emblématiques, Initials BB, mais aussi l’une de ses plus intimes puisqu’il la parsème d’allusions propres à Bardot. En effet, il mentionne L’amour monstre de Pauwels, un roman que Bardot lui aurait suggéré un jour, en soulignant que « ça claque à chaque page ». De plus, Almería – nom énigmatique que l’on entend vers la fin de la chanson – est la ville où part la starlette pour tourner le film Shalako et qui marque leur rupture à tout jamais.

Serge Gainsbourg – Initials BB

Les premières ébauches sont  assez révélatrices de son état d’esprit: La princesse barbare/La belle aux cheveux d’or/Perdu dans le hasard/De mes pensées/Je fixais cette affiche/Elle me sourit/Au fond de la nuit/Dans mon agonie. Mais au fil de l’écriture, comme le souligne justement Panerai, Serge tirera son inspiration ailleurs; il la trouvera dans deux poèmes, l’un de Baudelaire (Les Bijoux), et l’autre de Poe… traduit par le même Baudelaire (Le Corbeau)! Et, selon Hann, il y aura au moins deux couplets qui ne se retrouveront pas dans la version définitive, dont:

Dédaignant les milords
Qui m’entouraient
La belle aux cheveux d’or
Me regardait

***

En 1968, ce sera le grand joueur de flamenco originaire de Sète, Manitas de Plata, qui consacrera une pièce instrumentale à la plantureuse actrice pour son album Hommages. Quelques années plus tard, en 1977, ce sera au tour d’Anne Léonard; connue pour son répertoire plutôt grivois, la chanteuse glissera une référence à Brigitte dans sa goualante Mon p’tit Q: C’est pas les miches à Bardot/Il est bien plus rigolo. Il s’agit évidemment d’un petit clin d’oeil, puisque C’est rigolo est une chanson… de BB! Enfin, dans les années 1980, le groupe de rock français Corps Caverneux gravera sur disque Des tas de Brigitte Bardot, composé par le duo Bruant et Lahrer.  

Des années 50 aux années 80, Brigitte Bardot aura été l’inspiration de plusieurs chansons, de pièces instrumentales à des morceaux de samba et même de rock… Qui, parmi les actrices d’hier et d’aujourd’hui, peut prétendre à autant d’hommages successifs?

Anne Léonard – Mon p’tit Q

Corps Caverneux – Des tas de Brigitte Bardot

***

Paroles

Brigitte Bardot – Ciel de lit
Brigitte Bardot – Jamais trois sans quatre
Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît
Brigitte Bardot – Sidonie

Corps Caverneux – Des tas de Brigitte Bardot

Serge Gainsbourg – Initials BB

Anne Léonard – Mon p’tit Q

Dario Moreno – Brigitte Bardot

Sources

Tout va très bien, madame la Marquise… enfin, presque!

Devenue une véritable expression proverbiale signifiant la résignation devant une situation allant de Charybde en Scylla, la chanson Tout va très bien, madame la Marquise a une histoire bien à elle. Écrite et composée en une seule nuit par Paul Misraki, pianiste des Collégiens de Ray Ventura, la goualante décrivait les mésaventures d’une femme entendant tour à tour que sa jument venait de mourir, que le château était réduit en cendres et que son époux s’était suicidé… Misraki aurait entendu une histoire similaire de la part de Louis Gasté, membre des Collégiens, et cela l’aurait inspiré. Pourtant, un sketch de Bach et Laverne datant de 1931, ayant pour titre Tout va très bien, était vaguement similaire à ladite chanson – et, de fait, une comédie de Gabriel de Lautrec portait sur le même thème et a été montée en… 1893 ! Et, il paraîtrait qu’un thème similaire existe depuis le Moyen-Âge, dans la péninsule ibérique, comme l’explique le professeur Jean Lauand ici (texte en portugais). Tout allait très bien depuis assez longtemps semble-t-il !

Ray Ventura – Tout va très bien, madame la Marquise

Tout va très bien sera créée et enregistrée le 22 mai 1935, Grégoire Aslan assurant le rôle du valet devant annoncer les mauvaises nouvelles. Le morceau aura une telle renommée qu’il sera entonné par les ouvriers grévistes réclamant leurs deux semaines de congés payés en 1936 ! Une chanson populaire clamée par la classe populaire, et cela, à cause du Front populaire… 

Reprises

La chanson sera reprise plusieurs fois dans les années 60, par les Haricots Rouges, Tony Meler ou encore Les Venturas pour ne nommer que ceux-là. Il faut surtout mentionner une interprétation particulière devant public datant de 1967, avec Sacha Distel dans le rôle de la Marquise (!) et Jean-Pierre Cassel, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault et Jean Yanne, qui interprètent les valets de service.

Il y a également une autre reprise, réunissant la Belge Annie Cordy et Pierre Perret, dans les rôles respectifs de la Marquise et du valet.

Enfin, soulignons le duo Carlos-Patrick Topaloff, accompagné par l’orchestre de Raymond Lefevre. 

Clin d’oeil

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une version de Tout va bien, madame la Marquise fut chantée sur les ondes de Radio Londres ; cette fois-ci, il ne s’agissait plus de madame la Marquise, mais d’Hitler, demandant à Goebbels comment vont les choses. Le ministre de la propagande, pris de court, explique que les Allemands sont en train de perdre la guerre en Afrique et contre les Russes mais, à part cela, tout va bien… Une partition est disponible sur ce site à la page 24 et 25.

Hergé, le célèbre dessinateur de Tintin, reprendra la chanson pour une de ses bandes dessinées, mais il ne s’agira ni du reporter à la houpette, ni non plus des deux garnements bruxellois, mais bien de Jo, Zette et Jocko. En 1951, la goualante sera entonnée dans l’album « Le testament de M. Pump », par un bandit voulant simuler l’ivresse.

Le testament de M. Pump - Tout va très bien, Madame la Marquise

Il faut dire également que le chanson sera pendant longtemps associée à Ray Ventura et ses Collégiens. Pour s’en départir, ils produiront une parodie de leur propre succès, intitulée La Marquise voyage.

Ray Ventura et ses collégiens – La Marquise voyage

En 1940, avec l’arrivée du gouvernement de Pétain, Ray et ses Collégiens s’exileront en Amérique du Sud pour éviter la politique antisémite de Vichy. Parions qu’une fois la guerre finie, et de retour vers la France, Ray devait se dire que tout allait très bien, madame la Marquise, que tout allait très bien…

Reprise moderne

Enzo Enzo chantera à son tour la ritournelle pour son album Chansons d’une maman pour culottes courtes, en interprétant le rôle de la marquise et des valets. Cette version-ci conserve la mélodie originale, tout en y ajoutant un soupçon de jazz manouche qui donne corps à la rythmique.

Enzo Enzo – Tout va très bien, madame la marquise

***

Paroles

Enzo Enzo – Tout va très bien, madame la Marquise

Ray Ventura et ses Collégiens – La Marquise voyage

Ray Ventura et ses Collégiens – Tout va très bien, madame la Marquise

Discographie

1935 – 78 tours LP : Tout va très bien (madame la Marquise)/Je crois bien que c’est l’amour

1938 – 78 tours SP : La Marquise voyage (1ère et 2ème parties)

1950s – 33 tours LP : Tout va très bien (madame la Marquise)/Qu’est qu’on attend (pour être heureux)/Comme tout le monde/Près de vous dans le soir/Y’a des jours où toutes les femmes sont jolies/Je n’ai qu’un seul amour/Tiens !…tiens ! …tiens !/Sur deux notes/Maria de Bahia/Sans vous/Oui mon amour/Si la brise/Tant je suis amoureux de vous/J’ai peut-être tort/À la mi-août

1960s – 33 tours LP : Tout va très bien (Madame la marquise)/C’est toujours ça de pris/Vous qui passez sans me voir/Le général dort debout/Les moines de Saint-Bernardin/Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine/Je sais que vous êtes jolie/Toc, toc partout/Trois petits tambours

1964 – 45 tours EP : Tout va très bien, madame la Marquise/C’est toujours ça de pris comme disait ma grand-mère/Je sais que vous êtes jolie/Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine

1974 – 33 tours LP : Tout va très bien (Madame la marquise)/Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine/Le refrain des chevaux de bois/La musique vient par ici/Viv’ les bananes (parc’ qu’y a pas d’os dedans)/C’est idiot mais c’est marrant/C’est toujours ça de pris/Les chemises de l’archiduchesse/Comment vas-tu ?/Le lambeth walk/Tiens tiens tiens/La chamberlaine/On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried/It’s a long, long way to Tipperary

1975 – 33 tours LP : Tout va très bien (Madame la marquise)/Le général dort debout/Les trois mandarins/Chez moi (Venez donc chez moi)/C’est idiot mais c’est marrant/La petite île/C’est ce qui fait son charme/Les moines de Saint-Bernardin/C’est toujours ça de pris/La musique vient par ici/Trois petits tambours/Et puis d’abord… qu’est-ce que ça peut vous faire ?/C’est la rumeur publique/Le refrain des chevaux de bois

Sources

  • HERGÉ. Les aventures de Jo, Zette et Jocko. Palaiseau : Casterman, 2008, p. 34. 
  • LAUAND, J. « ‘Tout va très bien, madame la Marquise’ as Raízes Medievais do Humor » in Revista internacional d’humanitats, vol. 9, 10 (2006), p. 15-30.
  • PEREY, I. C. 120 chansons que l’on fredonne : Petites histoires et anecdotes. Paris : Éditions Didier Carpentier, 2008, p. 31-33.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 8 juin 2014.