Une mutinerie révolutionnaire – Le cuirassé Potemkine

En 1905, la situation politique est critique en Russie impériale; une guerre commencée avec le Japon l’année précédente s’annonce désastreuse et devient de plus en plus impopulaire auprès du peuple russe. Une manifestation a lieu en janvier sur la place du Palais d’hiver et se termine par un bain de sang; cet évènement sera connu par la suite sous le nom de « Dimanche rouge ». Cette effervescence de révolte continuera tout le long de l’année jusqu’à la tenue d’une grève générale pendant une dizaine de jours jusqu’à ce que cède Nicolas II. Il existe cependant un évènement capital qui se produit le 27 juin et qui marquera les esprits: la mutinerie du cuirassé Potemkine.

Mouillant dans les eaux de la mer Noire, le bâtiment reçoit un ravitaillement de viande; cependant, selon certains, la viande est avariée et plusieurs matelots refusent leur portion, encouragés par un jeune agitateur marxiste, Matouchenko. Le capitaine du cuirassé Guiliarovski décide alors de fusiller des mutins pour l’exemple et ordonne à ses hommes de s’exécuter; Matouchenko parvient à les convaincre de ne pas tirer. Guiliarovski tire alors sur un des hommes au peloton avant d’être lui-même abattu; désormais, la mutinerie est déclenché et les matelots s’emparent d’armes et s’empressent d’occire des officiers supérieurs. Une fois fait, ils élisent à main levée un comité en charge du navire, avec Matouchenko à sa tête. Le Potemkine fait alors route vers Odessa, où il y a de nombreux remous politiques; après quelques jours d’ancrage dans la baie, le vaisseau quitte les eaux de Crimée en direction de la Roumanie. Convaincus qu’il n’y a désormais plus rien à faire, et que leur geste n’aura causé une révolution dans la flotte russe, les matelots se rendent aux autorités roumaines. C’est la fin de la mutinerie du Potemkine.

***

Ces évènements inspireront le grand cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein qui filmera vingt ans plus tard un des grands chef-d’oeuvres du 20e siècle, Le Cuirassé Potemkine, un mélange saisissant de poésie et de propagande soviétique. Et c’est justement en le visionnant que Georges Coulonges décide d’écrire une chanson sur la mutinerie trois jours plus tard, obsédé selon ses dires par les images captivantes du film d’Eisenstein. L’écrivain la confiera à Jean Ferrat, qui passera de nombreux mois afin de trouver une musique qui convienne au ton révolutionnaire de la chanson. Lorsqu’il parviendra enfin à trouver la mélodie qu’il désire, le chanteur de l’Ardèche l’enregistrera, porté par les arrangements d’Alain Goraguer. 

Jean Ferrat – Potemkine

C’est alors qu’il est invité le 24 novembre 1965 à l’émission animée par Alain Raisner Âge tendre et Tête de bois que Jean Ferrat propose de chanter Potemkine. Toutefois, la censure étant assez sévère à l’époque, on refuse catégoriquement la chanson, considérée trop provocante; la direction fait savoir à Ferrat qu’il devra tout simplement en choisir une autre. Intransigeant, le chanteur quitte le studio et ce sera justement cette interdiction qui donnera une publicité retentissante à Potemkine. Comme quoi la censure a tendance à rendre une oeuvre souvent plus alléchante, en particulier lorsque celle-ci présente un thème révolutionnaire…

***

Paroles

Jean Ferrat – Potemkine

Sources

  • BRIERRE, J. D. Jean Ferrat, une vie. Archipel, 2010.

Manureva – Une collaboration houleuse entre Chamfort et Gainsbourg

En 1979, alors que la France (et le monde) surfe sur la vague disco, Alain Chamfort vient tout juste de composer avec Jean-Noël Chaleat la musique de son prochain album, Poses. Sûr de son coup, le jeune chanteur confie les paroles à Serge Gainsbourg, qui venait tout juste de lancer son album reggae Aux Armes Etcetera. Gainsbarre profite cependant de son voyage à Los Angeles, où il est parti rejoindre Chamfort, pour s’amuser au lieu de travailler sur les textes qu’il doit écrire. Le résultat est pour le moins peu probant : Adieu California, chanson qui ressemble beaucoup à une version édulcorée de Sea, Sex and Sun, avec du name dropping pas très imaginatif et un thème quelque peu démodé. Peu convaincu, le chanteur enregistre quand même le morceau.

Mais Chamfort fait connaître son mécontentement à l’homme à tête de chou et celui-ci rechigne à écrire de nouvelles paroles. Après tout, le parolier avait rempli sa part du contrat, bien que de façon un peu bâclée. Cependant, lors d’un dîner avec sa belle Jane et Eugène Riguidel, Gainsbourg renoue avec les Muses qui l’avaient brièvement délaissé. En effet, inspiré par le naufrage d’Alain Colas l’année d’avant, le beau Serge écrira comme un déchaîné pendant toute la nuit. À 4 heures du matin, il téléphone à Chamfort et lui fredonne les premiers mots : Manu, Manureva

Cette photo provient du site http://www.alain-colas.com

Le navigateur Alain Colas avait remporté ses premiers succès navals aux abords du trimaran Pen-Duick IV, qui sera rebaptisé Manureva – oiseau du firmament en maori – au début des années 70. Le 5 novembre 1978, le téméraire skipper s’embarque pour la Route du Rhum qui sera, malheureusement pour lui, sa dernière course. Le 14 novembre, alors que le Manureva vogue au loin des Açores, une dépression cyclonique violente sillonne les mêmes eaux qu’il s’apprête à traverser. Colas émet sa dernière retransmission radio deux jours plus tard et disparaît à jamais, sans laisser de traces matérielles. Des avions de patrouille seront dépêchés sur les lieux et tenteront en vain de localiser l’appareil et son passager. Un message de Colas sera capté le 3 décembre par un radio amateur aux États-Unis, plus tard authentifié par la marine nationale. Ce fut également ses dernières paroles.  

« Ici Manureva, suis en difficultés. Demande assistance »

Crédit: Benoît Prieur (Agamitsudo) – CC-BY-SA

Paroles

Alain Chamfort – Manureva

Sources