Chanteur fou ou scientifique chevronné – Le cas étrange de Dr Sternheimer et Évariste

Qui est cette figure ténébreuse des sixties, tout aussi échevelé que son style musical? Mais c’est Évariste, un chanteur au parcours plutôt unique dans l’histoire de la chanson française. Né Joel Sternheimer en janvier 1943, ce natif de Montluel grandira sans père car ce dernier mourra à Auschwitz. Élève plutôt doué et attiré par la « masse des particules », il s’oriente vers une carrière de chercheur; sa persévérance lui permet d’aboutir à Princeton, une des prestigieuses universités de la Ivy League aux États-Unis. Malheureusement pour lui, il arrive au pays de l’Oncle Sam lorsque celui-ci est engagé dans une guerre au Viet-Nam; le secrétaire à la Défense Robert McNamara décide de réorienter de nombreux chercheurs et les mobiliser afin qu’ils puissent développer ce qui remplacerait, dans les faits, la bombe nucléaire. Le jeune étudiant, alors sous la tutelle d’une professeur hostile à l’idée de participer au développement d’une telle arme, se voit remercier tout en restant inscrit à des séminaires à l’Institute For Advance Study – donnés par nul autre qu’Oppenheimer, le père de la bombe atomique.

Bientôt, gagné par la fièvre des contestations et les Bob Dylan en plein essor, Sternheinmer s’achète une guitare et commence à composer des chansons – avec l’admiration et l’aval du même Oppenheimer! Le jeune étudiant quitte les États-Unis pour Paris, et troque son nom de naissance pour Évariste, un hommage à Évariste Galois de même qu’un clin d’oeil à de nombreux chanteurs de l’époque ne portant qu’un prénom (Antoine, Hector, Tichky…). Lucien Morisse, alors directeur des programmes d’Europe 1, lui fait signer un contrat dès qu’il entend le jeune prodige. À l’époque, un certain diplômé d’ingénierie se fait passer pour l’intello de la chanson française et Morisse voit en Sternheimer un candidat capable de rivaliser avec lui. En 1967, Évariste enregistre une pièce où se conjuguent son penchant pour les mathématiques et la musique éclatée: Connais-tu l’animal qui inventa le calcul intégral?

Évariste – Connais-tu l’animal qui inventa le calcul intégral?

Mélangeant à la fois des références érudites (Leibniz, Newton…) et des jeux mots quelques fois douteux, Évariste réussit un tour de force dans ce premier essai. Si on lui reproche d’attaquer certains de ses contemporains de façon plutôt mesquine, le chanteur hirsute se défend en expliquant que c’est une « phrase de mathématicien ». Voyez plutôt ce qui est souligné en rouge et relisez bien la deuxième strophe.

Ce que je pense d’Antoine et de Jacques Dutronc
Ça commence par « C » ça finit par « On« 

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Et voilà, Évariste est lancé! Son premier 45 tours comprendra trois autres chansons: Si j’ai les cheveux longs, c’est pas pour m’enrhumer atchoum, Dans la lune et Évariste aux fans. La première goualante est une pique évidente contre Antoine (encore), qui s’était fait pasticher et parodier à de nombreuses reprises lors du succès de ses Élucubrations. Toujours la même année, il enchaîne avec un deuxième 45 tours avec quatre nouvelles pièces: Wo i nee, Ma Mie, Les pommes de lune et La chasse au boson intermédiaire. Le dernier titre est une référence évidente à la « masse des particules » qui l’avait tant fasciné encore étudiant – le boson intermédiaire est le résultat d’une collision entre une particule et une antiparticule, aussi appelé une « interaction faible ».

Évariste – La chasse au boson intermédiaire

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Le vent de contestation des années 60 ne souffle pas sans effet et bientôt la France vivra un mois de mai plutôt agité. Pendant ces évènements, Évariste ne reste pas coi et laisse ses mathématiques tant prisés de côté pour composer des pièces plutôt politiques. Son prochain 45 tours – dont la pochette est signée par Wolinski – ne contient que deux titres, mais assez évocateur: La révolution et La faute à Nanterre. Cet album a une certaine importance dans l’histoire de la chanson française: non seulement est-ce un des premiers disques auto-produits en France, mais il sera également le catalyseur d’un autre chanteur contestataire. En effet, le texte de La révolution sera tapé à la machine par un certain Renaud Séchan… 

Évariste – La révolution

Évariste – La faute à Nanterre

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En 1970, le réalisateur Claude Confortès désire adapter la série Je ne veux pas mourir idiot, fruit de l’oeuvre de Wolinski, et demande à Évariste de signer la bande sonore. Le chanteur accepte et met en musique quelques titres du célèbre dessinateur (hélas disparu) de Charlie Hebdo. Mais la lassitude se fait sentir; le jeune homme désire retourner à ses premières amours. Il abandonne le métier de chanteur et se consacre désormais à une de ses théories – fortement controversée – la protéodie. Porte-manteau de mélodie et protéine, la protéodie estime qu’à « chaque acide aminé composant une protéine est associée une onde d’échelle, qui peut être transcrite en note de musique » (Boudet, La musique de l’ADN et les protéines).

Évariste – Je ne pense qu’à ça

Évariste – Je ne veux pas mourir idiot

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Enfin, lors d’un passage éclair à la télévision en 1974, le savant fou chantant interprétera ce qui s’avérera être sa dernière performance musicale. En effet, Évariste quittera définitivement la scène au profit du laboratoire, laissant sa place à Joël Sternheimer. Toujours vivant, ce dernier travaille présentement à l’Université Européenne de la Recherche, à deux pas de la Sorbonne, et se consacre à ses protéodies. Sait-on jamais si, dans un avenir proche, le physicien trouvera la protéine qui enrichit autant l’estomac que l’esprit…

Paroles

Évariste – Connais-tu l’animal qui inventa le calcul intégral ?
Évariste – Je ne pense qu’à ça
Évariste – Je ne veux pas mourir idiot
Évariste – La chasse au boson intermédiaire
Évariste – La faute à Nanterre
Évariste – La pomme de lune
Évariste – La Révolution

Sources

Le Chopin du twist – Hector

Né le 20 décembre 1946, Jean-Pierre Kalfon n’a que quinze ans lorsqu’il devient Hector, le chanteur flamboyant des Médiators. Car, contrairement au traditionnel blouson noir associé au rock des années 60, c’est en queue-de-pie, gants blancs, noeuds papillons qu’il apparaît sur scène, accompagné de son fidèle (et véridique!) valet Jérôme. Tour à tour, on le voit être transporté sur scène en cercueil, en baignoire ou en chaise montée; il prend un bain dans la fontaine sur la place de la Concorde, chante même en collants roses ou habillé en homme des cavernes, tout en méprisant au passage son public…

Son style de musique éclaté le rapproche du freakbeat, dont il reprend deux chansons d’une des ses figures de proue, Screamin’ Jay Hawkins. Il a cependant à son répertoire un rock de Eddie Cochran (Something else), deux chansons plutôt comiques signées Jean Yanne et Gérard Sire, et un pastiche de I’ve been loving you too long d’Otis Redding. Hector varie donc son apport à la chanson française, en y introduisant un aspect moqueur, choquant et dérisoire, ne se prenant définitivement jamais au sérieux.

Hector – Alligator

Hector – Abab l’Arabe

Hector – Je vous déteste

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Mais Hector ne se confine pas à la scène, puisqu’il est de la distribution du film Cherchez l’idole, où il côtoie entre autres Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Eddy Mitchell et… Charles Aznavour. C’est d’ailleurs ce dernier qui écrira toutes les chansons du film, y compris celle qu’interprétera Hector, il faut saisir sa chance.

Après un houleux désaccord avec Philips, alors sa maison de disques, Hector la poursuit en justice, gagne, et signe avec une filiale de Pathé-Marconi. Sans les médiators, il produit un troisième, puis un quatrième disque un peu plus favorable auprès des radios mais il se retire peu de temps après. Le Chopin du twist tire sa révérence de la scène, incompris et original, Hector n’aura pas été une des figures marquantes du Rock français, mais certainement une des plus provocatrices.

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Paroles

Hector – Alligator
Hector – Je vous déteste

 Discographie

  • Premier EP: Something Else/Tchang/Loin/Paris, je t’aime…d’amour
  • Deuxième EP: Whole lotta shaking going on/T’es pas du quartier/Peggy Sue/Je vous déteste
  • Troisième EP: Alligator/Mon copain Johny/La femme de ma vie/Hong Kong
  • Quatrième EP: Abab l’arabe /Il faut seulement une petite fille /Le gamin couché/À la fin de la semelle
  • Suppléments: Le petit Beaujolais/La société (avec Tom et Jerry) et « Le sifflet des copains » de Sheila, adapté en « Le sifflet des boudins ».

Sources

  • CHALVIDANT, J. et H. MOUVET. La belle histoire des Groupes de Rock français des années 60. Sine Loco : Éditions Lanore, 2001, p. 104-107. 
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 3 décembre 2012.

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