[Spécial] Appariation de chansons thématiques – Vingt ans

De son vrai nom Giuseppe Mustacchi, Georges Moustaki a passé son enfance bercé aux sons d’une multitude de langues dans son Alexandrie natale, véritable carrefour de cultures en Égypte. S’il parle l’italien à la maison, « Joseph » est exposé à de nombreuses langues à l’école, dans les cafés et la rue, où l’arabe, le français, le grec et le turc se croisent, se tutoient et s’entremêlent. Rapidement, il s’amourache de la langue de Molière et son père l’inscrit au Lycée français d’Alexandrie pour son plus grand bonheur… et le nôtre!

Féru de poésie et de chanson françaises, Moustaki fréquentera, selon certaines sources, la Schola Cantorum. C’est lors d’un cours d’harmonie que l’auteur du métèque composera la musique de ce qui deviendra Votre fille a vingt ans. Les paroles, quant à elles, ne sont pas nées d’un devoir de français mais plutôt d’une réalité autobiographique. Éternel rêveur, le jeune Georges fait l’école buissonnière avec les copains à Saint-Germain-des-Prés et plusieurs parisiennes tombent sous son charme méditerranéen. Et c’est après la conquête d’une jeune femme en particulier qu’il écrira la chanson; celle-ci était adressée à une célèbre productrice de télévision, dont la fille était l’objet de son amour.

Si Moustaki chante Votre fille a vingt ans, c’est véritablement Reggiani qui la rendra sienne; selon Georges, Serge aimait cette goualante surtout parce que c’est ce qu’il souhaitait lui-même dire (ou avouer) à certaines de ses connaissances, dont Simone Signoret.

Georges Moustaki – Votre fille a vingt ans

Serge Reggiani – Votre fille a vingt ans

***

Lors de l’année 1977, Gréco s’apprête à franchir le cap de la cinquantaine. Un jour, alors qu’elle avait une conversation animée au téléphone, la chanteuse tranche d’un ton sec: « Non, monsieur, je n’ai pas vingt ans ». À ses côtés se trouve le parolier Henri Gougaud et il ne lui en faut pas plus pour trouver l’inspiration pour une nouvelle chanson. Selon Bertrand Dicale – dans la biographie qu’il a consacrée à Gréco – un spectateur aurait crié à l’interprète « Vieille peau! » pendant un gala à l’Athénée. Juliette se serait approchée de son musicien, lui aurait chuchoté quelques mots, avant de créer sur scène Non, Monsieur, je n’ai pas vingt ans, qu’elle a d’ailleurs dédié à celui qui l’avait chahutée! 

Quelque peu nostalgique, la chanson ne fait pas l’éloge de cet âge que tant de poètes ont encensé; elle se pose tout simplement en bilan d’une époque où la vie était un peu moins facile: Vingt ans, c’est l’âge dur /Ce n’est pas le meilleur des temps /Je sais, je l’ai vécu.

Petite ironie du sort, Georges Moustaki avait originalement offert Votre fille a vingt ans à Juliette Gréco, mais le succès n’avait pas été au rendez-vous…

***

Paroles

Juliette Gréco – Non, Monsieur, je n’ai pas vingt ans

Georges Moustaki – Votre fille a vingt ans

Serge Reggiani – Votre fille a vingt ans 

Sources

  • CALVET, L.-J. Moustaki, une vie. Sine loco; Archipel, 2014.
  • ECLIMONT, C.-L. 1000 Chansons françaises de 1920 à nos jours. Paris: Flammarion, 2012, p. 548-549.
  • PANTCHENKO, D. Serge Reggiani: L’acteur de la chanson. Sine loco: Fayard, 2014.

Droits d’auteur

  • La photo de Georges Moustaki est une création de Rob Mieremet / Anefo.
  • La photo de Juliette Gréco est une création d’Erling Mandelmann.

 

Aznavour – Tout en haut de l’affiche

Parolier reconnu, Charles Aznavour est pourtant loin du haut de l’affiche en l’année 1958. Séparé d’avec son comparse Pierre Roche depuis déjà neuf ans, il chante seul sur scène. Ses chansons, telles que Je hais les dimanches ou Jezebel, plaisent lorsqu’elles sortent des bouches de Gréco ou de Piaf, respectivement. Par contre, lorsque Aznavour chante, il se fait huer ; enchaînant quelquefois plusieurs cabarets les uns après les autres, il devient souvent aphone vers la fin. Cela lui mérite le surnom de « l’enroué vers l’or ». On le traite aussi de « Quasimodo », d’ « escroc de petite envergure » et la critique lui reproche sa voix et sa taille (!), qui ne seraient pas taillés pour le public.

C’est alors qu’avec la composition de Je m’voyais déjà que Charles Aznavour obtient son vrai premier succès ; C’est ma vie, en 1954, l’avait déjà quelque peu propulsé au devant mais sans le hisser au sommet. Et cette gloire, il l’a doit à une chanson énumérant les déboires… d’un artiste raté ! Aznavour passera, cette année là, en vedette pour la première fois de sa carrière à L’Alhambra – c’est le haut de l’affiche !

Charles Aznavour – Je m’voyais déjà

***

Clin d’oeil

Léo Ferré, dans une version de Les temps difficiles (1961), se paie la tête de plusieurs vedettes françaises alors à la mode : Johnny Hallyday, Brigitte Bardot, Dalida… et Aznavour. Il imite le chanteur d’origine arménienne (en feignant une voix éteinte) et mentionne au passage sa nouvelle carrière cinématographique, ainsi que la chanson qui l’a rendu célèbre : Si d’Aznavour j’avais la voix/Je pourrais m’voir au cinéma/Mais la p’tite vague m’a laissé là/Moi, moi, moi qui m’voyais déjà…

***

Paroles

Charles Aznavour – Je m’voyais déjà

Léo Ferré – Les temps difficiles (1ère version) 

Discographie

1960 – 33 tours LP : Je m’voyais déjà/Quand tu m’embrasses/Monsieur est mort/L’amour et la guerre/Comme des étrangers/Prends le chorus/Tu vis ta vie mon coeur/L’enfant prodigue

1961 – 45 tours EP : Je m’voyais déjà/Quand tu m’embrasses/Comme des étrangers/Tu vis ta vie mon coeur

1973 – 45 tours SP : Je m’voyais déjà/Trousse-chemise

Sources

  • ENCYCLOPÉDISQUE [http://www.encyclopedisque.fr] Consulté le 12 janvier 2014.
  • SCHLESSER, G. Le Cabaret « Rive gauche » : De la Rose rouge au Bateau ivre (1946-1974). Sine loco : L’Archipel, 2006, p. 284-285.