Gainsbourg et la muse érotique – Je t’aime moi non plus

Depuis qu’il a retourné sa veste – car elle était doublée de vison, ajoutait-il goguenard – Gainsbourg a enfin trouvé le succès pop en 1965. Et cela, grâce à une jeune femme, France Gall. Cette formule, bien que habituelle chez les paroliers/compositeurs (ce fut le cas pour Charles Aznavour et d’autres), réussira particulièrement bien pour l’homme à tête de chou. Au début des années 60, l’alter ego d’Evguénie Sokolov offre des compositions à une jeune Brigitte Bardot, alors véritable sex-symbol depuis Et Dieu…créa la femme. Profitant du charme de B.B., Gainsbourg lui écrit certains morceaux comme L’appareil à sous, Bubble Gum ou encore Je me donne à qui me plaît…

Brigitte Bardot – L’appareil à sous

Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît

Cependant, c’est en 1967 que la collaboration se révèle fructueuse ; une idylle passionnée naît entre les deux. Curieuses amours! Alors que B.B. est l’image même de la volupté et de la sensualité, Gainsbourg a quant à lui un physique ingrat dont les médias adorent se moquer. Et pourtant, la belle et la bête sont bel et bien épris l’un de l’autre! Mais Vénus est éphémère pour ceux qui la croient éternelle… Après un trouble de comportement, Gainsbourg est réprimandé par la Bardot. Elle lui demande en guise de réparation la plus belle chanson d’amour. Le pianiste, ayant quelques jours plus tôt assisté à une projection du film Bonnie & Clyde de Warren Beatty, commence à songer à sa dette amoureuse. La même nuit, il compose Bonnie and Clyde, qui sera créé pendant le Brigitte Bardot Show lors du jour de l’an 1968.

Ce ne sera pas la seule chanson que Gainsbourg désire offrir à sa muse ; il a également écrit une chanson beaucoup plus sulfureuse et corrosive sur une musique composée pour Les Coeurs verts dÉdouard Luntz. Le résultat ? Je t’aime, moi non plus. L’homme à tête de chou aurait été inspiré d’une citation de Salvador Dali :

Picasso est Espagnol, moi aussi
Picasso est un génie, moi aussi
Picasso est communiste…moi non plus !

La sortie du 45 tours est prévue pour le 25 décembre, tout un cadeau de Noël de la part de Serge et Brigitte! Mais, ayant épousé Gunter Sachs, la plantureuse blonde exige que la chanson n’aboutisse pas dans les bacs – de peur que son mari fraîchement épousé ne paraisse cocufié ! Gainsbourg enferme la maquette dans son coffre-fort. Que va-t-il arriver de sa chanson?

Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot – Je t’aime moi non plus

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Je t’aime, deuxième partie

C’est en 1968, au mois de mai, que Serge fait une rencontre sur le plateau de tournage du film Slogan de Pierre Grimblat. Il s’agit de Jane Birkin, ex-compagne du compositeur John Barry. Mais le Français se montre distant et hautain devant la jeune Anglaise. L’ambiance orageuse qui en découle est fort déplaisant ; Grimblat les invite tous deux au restaurant puis se décommande. Alors qu’ils sont en tête-à-tête, l’amour pointe le bout de sa flèche et shebam, pow, blop, wizz.. Se métamorphosant en moderne Pygmalion, Gainsbourg prendra la jeune Anglaise sous son aile (et bien d’autres choses !). Il décide de lui faire enregistrer la chanson qu’il avait écrite pour B.B. pour un 33 tours qui s’intitulera de façon peu originale Jane Birkin – Serge Gainsbourg.

Album Jane Birkin et Serge Gainsbourg

Parsemée de gémissements rappelant l’orgasme, la chanson fait scandale à l’époque. Censurée par la BBC, la goualante sera mise à l’index par le Vatican et Jean XXIII ! Mais comme toute chose interdite, elle ne fait qu’attiser l’intérêt des auditeurs : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Scandinavie de même que certains pays sud-américains se l’arrachent! Les journalistes et autres médisants ont longtemps spéculé que le couple avait bel et bien fait l’amour en studio ; cela sera démenti par le principal intéressé par une boutade particulièrement gainsbourgienne. L’homme à tête de chou avait soutenu que la chanson n’aurait pas été aussi longue si elle avait eu la même durée qu’une relation sexuelle…  

Serge Gainsbourg et Jane Birkin – Je t’aime moi non plus

Clin d’oeil

La chanson fait tellement parler d’elle que les parodies foisonnent. Parmi celles-ci, retenons au passage « Ça« , interprétée par Bourvil et Jacqueline Maillan. Le couple, s’appelant Serge et Jane respectivement, dialogue au son de l’orgue comme deux retraités devant la télévision. Exit le torride, entre le tout ridé… 

Bourvil et Jacqueline Maillan – Ça

En 1974, lors d’un spécial à la télévision, Jane Birkin interprète à nouveau la sulfureuse chanson en compagnie d’un autre partenaire… nul autre que le Monocle, Paul Meurisse ! Fidèle à lui-même, l’acteur de Dunkerque balbutie des paroles incohérentes avec un ton grave et solennel, provocant ainsi le rire des téléspectateurs.

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Je t’aime, suite et fin

Si le premier succès était dû à la candeur de Gall, le deuxième le devînt grâce à la sensualité de Birkin… Ce ne fut là bien sûr pas la seule chanson osée que Gainsbourg fit chanter à Jane ; il faut également penser à La Décadanse ou encore Sex-shop. Leur amour engendra une petite fille, prénommée Charlotte, qui aura une carrière fulgurante dans la chanson et le cinéma, combinant les forces de ses deux parents. Malheureusement pour Gainsbourg, l’union avec Birkin ne durera pas – avec la nouvelle décennie 80 s’amorce aussi la fin de son couple avec la dame Jane…

« Vieux con ! », « Boudin ! ». Voilà les premiers mots qu’échangèrent Gainsbarre et Bambou lors d’une rencontre. Mais, tout comme avec Jane, l’animosité ne fut que passagère et bientôt Serge et Caroline devinrent un couple. Gainsbourg, en mal d’amour, allait éponger son chagrin de Jane comme un Tarzan de pacotille aux bras de Bambou. Et qui dit nouveau couple, dit nouvelle chanson d’amour. L’alter ego d’Evguénie Sokolov créa pour sa compagne une goualante qu’il avait lui-même consacrée : « Je t’aime moi non plus puissance 1000″ ! C’était à propos du nouveau titre de son album éponyme Love on the beat. Dans une chanson stimulant la torture sexuelle, on peut entendre Bambou crier et geindre – une prestation digne des rêves les plus torrides du marquis de Sade lui-même!

Serge Gainsbourg – Love on the beat

En 1986, Bardot donnera son accord pour que la chanson originale puisse enfin être entendu par le public ; il est évident que presque vingt ans plus tard, Je t’aime moi non plus avait perdu son mordant initial. Et si l’on aime la chanson ou non, il faut avouer que cet amour tantôt dévoué à Bardot, Birkin ou Bambou aura permis à Serge Gainsbourg de se faire connaître… lui non plus !

Paroles

Brigitte Bardot – Bubble gum
Brigitte Bardot – L’appareil à sous
Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît
Brigitte Bardot/Serge Gainsbourg – Bonnie and Clyde
Brigitte Bardot/Serge Gainsbourg – Je t’aime moi non plus

Jane Birkin/Paul Meurisse – Je t’aime moi non plus
Jane Birkin/Serge Gainsbourg – Je t’aime moi non plus
Jane Birkin/Serge Gainsbourg – La Décadanse

Bourvil/Jacqueline Maillan – Ça (Je t’aime moi non plus)

Serge Gainsbourg – Love on the beat
Serge Gainsbourg – Sex-shop

Discographie

Pour Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot

1986 – 45 tours : Je t’aime moi non plus/Bonnie and Clyde

Pour Serge Gainsbourg et Jane Birkin

1969 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/69, année érotique

197? – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Belgique]

1974 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/La Décadanse

1975 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/La Décadanse [Japon]

1976 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Belgique]

1990 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Royaume-Uni]

Pour Serge Gainsbourg

1984 – 33 tours : Love on the beat/Sorry Angel/Hmm Hmm Hmm/Kiss me hardy/No comment/I’m the boy/Harley David son of a bitch/Lemon Incest

1984 – 45 tours SP : Love on the beat/Sorry Angel [Japon]

Pour Bourvil

1969 – 33 tours : Ça (Je t’aime moi non plus)/Pouet Pouet/Ma p’tit’ chanson/Maurice/La mandoline/Mon village au clair de Lune/Pauvre Lola/C’est l’piston/Un clair de lune à Maubeuge/Un p’tit coup monsieur/Je voudrais être/C’était bien (au petit bal perdu)/Pour sûr/La dondon dodue

1969 – 45 tours SP :Ça (Je t’aime moi non plus)/Pauvre Lola

Sources

Remerciements

Merci à l’utilisateur GAINSBARRÉ24 pour le vidéo de Meurisse/Birkin.

Le Monocle chante juste

Paul Meurisse, connu surtout pour ses prestations dans la série des Monocles et dans Les Diaboliques, a débuté sa carrière…dans la chanson ! Il n’a que vingt-quatre ans lorsqu’il monte à Paris et remporte un radio-crochet. Le Dunkerquois deviendra d’abord boy au Trianon, chantant des chansons joyeuses de façon lugubre (1). Le « Humphrey Bogart français » se produit alors dans les cabarets, notamment au Petit Casino, à l’A.B.C. – c’est là d’ailleurs qu’Édith Piaf le verra interpréter « la Môme-Caoutchouc » (2). En automne 1939, Meurisse passe à l’Amiral et Piaf continue d’admirer son tour de chant, elle-même engagée juste à côté, au Night-Club, et qui doit lui faire compétition (3). La fréquentation de la star vaudra à Paul Meurisse une exposition médiatique plus que suffisante : le couple apparaîtra côte-à-côte dans un film, Montmartre-sur-Seine, et dans une pièce de théâtre de Guitry, Le Bel Indifférent.

 Mais leur relation amoureuse ne dure pas éternellement… Leur union est rompue en 1942, et la carrière d’acteur de Paul Meurisse est lancée ; Piaf, quant à elle, cultivera des relations avec d’autres jeunes talents prometteurs – Montand, Moustaki, Aznavour, Claude Léveillée… En 1943, l’année suivant leur rupture, Paul Meurisse enregistre chez Pathé Marconi un 78 tours contenant deux chansons : Notre tango et Margot la ventouse (4). Il semble d’ailleurs que cela ait été les seules qu’il gravera sur disque.

Paul Meurisse – Margot la ventouse

Sur le grand écran, Meurisse interprétera quelques goualantes de son tour de chant dans Vingt-quatre heures de perm’, film tourné en 1940 et projeté en 1945 (1). En 1944, le Dunkerquois chante à l’Européen…

Témoignage

Régine Reyne, dans son autobiographie, se souvient de ses tours de chant et raconte : « Si vous n’avez jamais vu Paul Meurisse dans son tour de chant sur scène, vous ne pouvez vous imaginer l’effet qu’il produisait en raison du contraste qu’il y avait entre sa personnalité et le texte insolite de ses chansons. Pas un sourire sur son visage impassible tandis qu’il débitait des inepties incroyables […] Derrière le regard perçant de Paul Meurisse on percevait une ironie sous-jacente, absolument dénuée de méchanceté » (4).

Une fois devenu une véritable vedette de cinéma, Paul Meurisse abandonnera définitivement la chanson à la fin des années 40. Cependant, grâce à Georges Lautner, il se produira une dernière fois dans le film Le Monocle rit jaune. Cernés par des ennemis, le Monocle et ses deux acolytes (Robert Dalban et Marcel Dalio) doivent avertir leurs alliés avec le signal qui avait été convenu : entonner l’air de Ma Normandie. Véritablement testament visuel pour ceux qui n’auraient pu jamais le voir au cabaret, ce court extrait permet d’apprécier le flegme et la maîtrise avec lesquels Meurisse interprétait ses chansons.


 
Répertoire (incomplet)

Fernando
Histoire d’un mec
L’Homme des bars
La Barbe de mon grand-père
La Môme-Caoutchouc
Le Colonel a fait une valse
Les Bonnets à poil et à plumes
Margot la ventouse
Mon coeur est plein d’espoir

Notre tango
Non, non, non, je ne suis pas swing
Parce qu’elle était swing
Un tango… c’est un tango

Sources