En 1973, l’Éducation nationale de France décide, sous l’égide de Joseph Fontanet, d’offrir des cours sur la sexualité, une première qui choque et déchaîne les passions. Alors que le débat fait rage, un chansonnier décide de s’en inspirer pour écrire une pièce rigolote; il s’agit de Pierre Perret, dont la maestria de la langue française n’est plus à démontrer. Et puisqu’il est question de l’éducation des jeunes, Perret compose à la fois un texte simple et facile à retenir sur un fond de musique qui rappelle les chansons de camp de jour. Intitulée tout bêtement Le Zizi, un terme enfantin qui signifie le sexe masculin, la pièce est terminée en 1974 et est prête pour le pressage. Mais il y a un hic…
En effet, Perret ne croit pas que la goualante puisse avoir un quelconque succès puisqu’à cette époque, la diffusion d’une chanson à la radio est une condition sine qua non d’un hit. Et, à cause du sujet en question, le chanteur estime que Le Zizi sera censuré partout; elle ne sera pas envoyée aux différentes radios et se retrouvera en dernière position, sur la face B, de son prochain 33 tours. Lorsque Perret apportera cet album à Jacques Ourévitch – alors directeur des programmes à Europe 1 – il aura une surprise de taille; en effet, Ourévitch l’écoute, la trouve hilarante et s’empresse de trouver Gérard Klein, animateur de radio. À 11h55, Le Zizi est diffusée et c’est un écrasant succès: les auditeurs appellent constamment pour qu’elle soit rediffusée… Il y aura un million d’albums et près de 600 000 45 tours qui seront vendus à la fin de l’année 1975. Peut-être certains activistes n’ont pas tort lorsqu’ils affirment que la société est obsédée par le sexe!
Pierre Perret – Le Zizi
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Clin d’oeil
En 1993, le groupe humoristique québécois Rock et Belles Oreilles parodiera la chanson de façon plutôt comique et efficace. Sur son album Le Gros Cru 2, Chantal Francke interprètera Le clito, une version féminine du Zizi. Reprenant la même structure que la chanson originale et un rythme similaire, la pièce se permet cependant de critiquer le « phallocentrisme » de la société sous un faux air de féminisme: « Tous les hommes sont bourrés de complexes, oh gué oh gué/Ils n’arrêtent pas de parler de leur sexe, oh gué oh gué/Comme s’ils avaient deux nombrils/Un au bide, l’autre au zizi« . S’ensuivent alors des descriptions assez graphiques (et cocasses) de différents clitoris – oreilles chastes s’abstenir!
Devenue une véritable expression proverbiale signifiant la résignation devant une situation allant de Charybde en Scylla, la chanson Tout va très bien, madame la Marquise a une histoire bien à elle. Écrite et composée en une seule nuit par Paul Misraki, pianiste des Collégiens de Ray Ventura, la goualante décrivait les mésaventures d’une femme entendant tour à tour que sa jument venait de mourir, que le château était réduit en cendres et que son époux s’était suicidé… Misraki aurait entendu une histoire similaire de la part de Louis Gasté, membre des Collégiens, et cela l’aurait inspiré. Pourtant, un sketch de Bach et Laverne datant de 1931, ayant pour titre Tout va très bien, était vaguement similaire à ladite chanson – et, de fait, une comédie de Gabriel de Lautrec portait sur le même thème et a été montée en… 1893 ! Et, il paraîtrait qu’un thème similaire existe depuis le Moyen-Âge, dans la péninsule ibérique, comme l’explique le professeur Jean Lauand ici (texte en portugais). Tout allait très bien depuis assez longtemps semble-t-il !
Ray Ventura – Tout va très bien, madame la Marquise
Tout va très bien sera créée et enregistrée le 22 mai 1935, Grégoire Aslan assurant le rôle du valet devant annoncer les mauvaises nouvelles. Le morceau aura une telle renommée qu’il sera entonné par les ouvriers grévistes réclamant leurs deux semaines de congés payés en 1936 ! Une chanson populaire clamée par la classe populaire, et cela, à cause du Front populaire…
Reprises
La chanson sera reprise plusieurs fois dans les années 60, par les Haricots Rouges, Tony Meler ou encore Les Venturas pour ne nommer que ceux-là. Il faut surtout mentionner une interprétation particulière devant public datant de 1967, avec Sacha Distel dans le rôle de la Marquise (!) et Jean-Pierre Cassel, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault et Jean Yanne, qui interprètent les valets de service.
Il y a également une autre reprise, réunissant la Belge Annie Cordy et Pierre Perret, dans les rôles respectifs de la Marquise et du valet.
Enfin, soulignons le duo Carlos-Patrick Topaloff, accompagné par l’orchestre de Raymond Lefevre.
Clin d’oeil
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, une version de Tout va bien, madame la Marquise fut chantée sur les ondes de Radio Londres ; cette fois-ci, il ne s’agissait plus de madame la Marquise, mais d’Hitler, demandant à Goebbels comment vont les choses. Le ministre de la propagande, pris de court, explique que les Allemands sont en train de perdre la guerre en Afrique et contre les Russes mais, à part cela, tout va bien… Une partition est disponible sur cesite à la page 24 et 25.
Hergé, le célèbre dessinateur de Tintin, reprendra la chanson pour une de ses bandes dessinées, mais il ne s’agira ni du reporter à la houpette, ni non plus des deux garnements bruxellois, mais bien de Jo, Zette et Jocko. En 1951, la goualante sera entonnée dans l’album « Le testament de M. Pump », par un bandit voulant simuler l’ivresse.
Il faut dire également que le chanson sera pendant longtemps associée à Ray Ventura et ses Collégiens. Pour s’en départir, ils produiront une parodie de leur propre succès, intitulée La Marquise voyage.
Ray Ventura et ses collégiens – La Marquise voyage
En 1940, avec l’arrivée du gouvernement de Pétain, Ray et ses Collégiens s’exileront en Amérique du Sud pour éviter la politique antisémite de Vichy. Parions qu’une fois la guerre finie, et de retour vers la France, Ray devait se dire que tout allait très bien, madame la Marquise, que tout allait très bien…
Reprise moderne
Enzo Enzo chantera à son tour la ritournelle pour son album Chansons d’une maman pour culottes courtes, en interprétant le rôle de la marquise et des valets. Cette version-ci conserve la mélodie originale, tout en y ajoutant un soupçon de jazz manouche qui donne corps à la rythmique.
1935 – 78 tours LP : Tout va très bien (madame la Marquise)/Je crois bien que c’est l’amour
1938 – 78 tours SP : La Marquise voyage (1ère et 2ème parties)
1950s – 33 tours LP : Tout va très bien (madame la Marquise)/Qu’est qu’on attend (pour être heureux)/Comme tout le monde/Près de vous dans le soir/Y’a des jours où toutes les femmes sont jolies/Je n’ai qu’un seul amour/Tiens !…tiens ! …tiens !/Sur deux notes/Maria de Bahia/Sans vous/Oui mon amour/Si la brise/Tant je suis amoureux de vous/J’ai peut-être tort/À la mi-août
1960s – 33 tours LP : Tout va très bien (Madame la marquise)/C’est toujours ça de pris/Vous qui passez sans me voir/Le général dort debout/Les moines de Saint-Bernardin/Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine/Je sais que vous êtes jolie/Toc, toc partout/Trois petits tambours
1964 – 45 tours EP : Tout va très bien, madame la Marquise/C’est toujours ça de pris comme disait ma grand-mère/Je sais que vous êtes jolie/Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine
1974 – 33 tours LP : Tout va très bien (Madame la marquise)/Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine/Le refrain des chevaux de bois/La musique vient par ici/Viv’ les bananes (parc’ qu’y a pas d’os dedans)/C’est idiot mais c’est marrant/C’est toujours ça de pris/Les chemises de l’archiduchesse/Comment vas-tu ?/Le lambeth walk/Tiens tiens tiens/La chamberlaine/On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried/It’s a long, long way to Tipperary
1975 – 33 tours LP : Tout va très bien (Madame la marquise)/Le général dort debout/Les trois mandarins/Chez moi (Venez donc chez moi)/C’est idiot mais c’est marrant/La petite île/C’est ce qui fait son charme/Les moines de Saint-Bernardin/C’est toujours ça de pris/La musique vient par ici/Trois petits tambours/Et puis d’abord… qu’est-ce que ça peut vous faire ?/C’est la rumeur publique/Le refrain des chevaux de bois
Sources
HERGÉ. Les aventures de Jo, Zette et Jocko. Palaiseau : Casterman, 2008, p. 34.
LAUAND, J. « ‘Tout va très bien, madame la Marquise’ as Raízes Medievais do Humor » in Revista internacional d’humanitats, vol. 9, 10 (2006), p. 15-30.
PEREY, I. C. 120 chansons que l’on fredonne : Petites histoires et anecdotes. Paris : Éditions Didier Carpentier, 2008, p. 31-33.
ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 8 juin 2014.