Ar brezhoneg eo ma bro – Gilles Servat, le chantre breton

Gilles Servat était destiné par ses ancêtres à une carrière à la fois artistique et politiquement engagé pour la Bretagne. Du côté paternel, son arrière-grand-père André dit Carrache était un montreur d’ours à Ustou, en Ariège; après une tentative ratée de se rendre en Amérique – la bête étant morte du mal de mer – il est revenu s’installer à Saumur. Son grand-père Gaston s’implantera à Nantes où il deviendra conseiller général de Vallet et même adjoint du maire, et c’est là que naîtra le père de Gilles, André; ce dernier conservera tout au long de sa vie des liens serrés avec Nantes, liens qu’il communiquera à son fils. Du côté de sa mère, originaire du Croisic, on parle encore en famille un dialecte breton, le bigouden. C’est là qu’il entendra pour la première fois parler cette langue de laquelle il deviendra plus tard un ardent défenseur. Gilles Servat est donc de culture bretonne par ses deux parents.

Né le 1er février 1945 à Tarbes, Servat grandit à Cholet, avec ses parents et ses deux frères. D’abord peu enclin aux études, il obtient son baccalauréat en 1963, en faisant des études littéraires. Puis, il entre à l’école des Beaux-Arts d’Angers afin d’y apprendre la peinture, la sculpture et la gravure. Toutefois, le courant à l’époque est à l’art conceptuel, ce qui ne lui plaît pas du tout; sa rencontre fortuite avec Serge Bihan, de même que l’esprit de mai 68, sont révélateurs pour lui et influencent sa décision à s’orienter vers la chanson. S’il chante déjà du Brassens, du Ferré, du Bruant et des traductions de Dylan, Servat est encouragé par Bihan qui l’emmène donner son premier récital à Rennes, en Bretagne. Inscrit aux Beaux-Arts de Paris, il n’y restera qu’un seul jour avant d’aller confectionner des marionnettes avec Jean-Pierre Lescot. Entre temps, il a découvert l’île de Groix, grâce à Bihan, et se met à lire un poète local qui écrit en breton, Yann-Ber Kalloc’h; une ferveur à la fois révolutionnaire et culturelle est en train de bouillonner en lui. Gilles Servat se met en tête d’apprendre la langue bretonne et la première goualante qu’il interprètera dans cet idiome sera un poème de Kalloc’h, Me zo ganet e kreiz ar mor. Il consacrera également une pièce à cette commune insulaire qui l’a transformé, intitulée tout simplement L’île de Groix.

Gilles Servat – Me zo ganet e kreiz ar mor

Gilles Servat – L’île de Groix

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Alors qu’il chante dans un restaurant sur l’île de Groix, chez Claude Pouzoulic, Gilles Servat fait la rencontre d’un autre barde breton, Émile Le Scanff dit Glenmor (connu de nos lecteurs pour être le célèbre Émile de la goualante Le Moribond, de Brel). Ce dernier manie déjà la parole comme une arme politique – il a créé le chant de marche de l’Armée révolutionnaire bretonne (Kan bale an ARB) – et influence grandement Gilles qui le met à son panthéon de maîtres à penser, avec Ferré et Brassens. Lorsque Servat s’exile à Paris, il ira rejoindre Glenmor au Ti Jos, le « café national » des Bretons situé à Montparnasse; cet isolement loin de la côte armoricaine lui permettra de composer ses meilleures ritournelles. Il crée entre autres Montparnasse Blues, pour souligner son mal du pays, et La Blanche Hermine, une protest song qui émerveille, émeut ou dérange le public venu l’entendre. Aujourd’hui, cette dernière peut être considérée comme un hymne non-officiel de la Bretagne.

Gilles Servat – La Blanche Hermine

Gilles Servat – Montparnasse Blues

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Les années 70 sont particulièrement fructueuses pour le chanteur, puisque les contestations battent leur plein en France pour un nombre de raisons (sociales, économiques, écologiques). En 1971, après avoir bien rodé son tour de chant, Gilles Servat sort son premier 45 tours (La Blanche Hermine/Kalondour) sur le label Kelenn créé par Glenmor, Alain Guel et Xavier Grall. L’année d’après, c’est un 33 tours enregistré à Dublin que sort le chansonnier breton, et l’album contient plusieurs goualantes réussies. Notons au passage Koc’h ki gwenn ha koc’h ki du, écrite par le père de Servat; ce dernier était irrité par la scission de la Bretagne historique qui perdait ainsi la Loire inférieure (Loire-Atlantique actuelle) au profit du Pays de la Loire. Il y a aussi Les Prolétaires, dans lequel il aborde à la fois le problème de l’exode rural, ainsi que la précarité des emplois dans les grandes villes, où certains travailleurs se font exploiter.

Gilles Servat – Koc’h ki gwenn ha koc’h ki du

Gilles Servat – Les Prolétaires

Après le 33 tours Ki Du, c’est sur Kalondour qu’il sort ses prochains albums, au rythme d’un par année; son dernier opus sur ce label sera un disque hommage à René Guy Cadou, un poète qui fut l’instituteur de sa mère, Renée Litou. Mentionnons au passage que l’engagement à gauche de Gilles Servat est toujours au centre de son oeuvre; il participe au collectif Skoazell Vreizh soutenant les prisonniers politiques de Bretagne, et interprète pour son album L’Hirondelle la pièce Gwerz Victor C’hara, un chant breton dédié au chanteur chilien Victor Jara assassiné en 1973. Il est également adepte d’un anticléricalisme convaincu et militant, ce qu’il rappelle tendrement dans Chanson pour le baptême de Virginie, pour sa fille.

Gilles Servat – Litanies pour l’an 2000 (L’Hirondelle)

Gilles Servat – Gwerz Victor C’hara (L’Hirondelle)

Gilles Servat – Chanson pour le baptême de Virginie (Le Pouvoir des Mots)

Gilles Servat – Le testament (Hommage à René Guy Cadou)

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Si Gilles Servat s’éloigne quelque peu du militantisme politique suivant son album hommage à Cadou – il quitte l’UDB (Union Démocratique Bretonne) en 1981 et chante Je ne hurlerai pas avec les loups, marquant son refus de la violence au nom d’un idéal – son amour pour la Bretagne demeure par son support indéfectible à Diwan (écoles de langue bretonne). Désormais, ses créations explorent des thèmes plus intimes et introspectifs, comme l’amour, et des réflexions sur la nature; il publie également un premier roman, La naissance d’Arcturus, une épopée inspirée par la société celtique ancienne. En 1988, son album Mad in Sérénité obtient le prestigieux Grand Prix de l’Académie Charles-Cros, de même que le Prix Régional de Bretagne.

Dans les années 90, le chansonnier breton travaille de concert avec An Triskell, un duo d’harpistes, pour l’album L’albatros fou; après un enregistrement à Brest, cette collaboration donnera lieu à un spectacle qui fera une tournée dans les festivals bretons, ainsi qu’au Pays de Galles et en Écosse. En 1992, Servat s’envole vers Tahiti, effectuant le trajet qu’empruntait un peintre qu’il admirait beaucoup, Paul Gauguin. La même année, il enregistre Le Fleuve, inspiré par la Loire, où selon ses dires les textes qu’il écrit ne parlent que d’une partie, « [c]elle du milieu, où il coule et traverse les pays ». Puis, il rejoint Dan Ar Braz aux Fêtes de Cornouaille à Quimper pour faire partie du projet Héritage des Celtes, un festival de musique celtique. De cette association naîtra plusieurs albums, dont le dernier (Célébration d’un héritage) qui est lancé en 2014; si le son breton obtient une « certaine reconnaissance internationale » grâce à cet effort collectif, marqué par deux Victoires de la musique en France, l’accueil sera un peu mitigé dans les pays celtes.

En 1998, en réponse au Front National qui entonne La Blanche Hermine dans ses assemblées, Gilles Servat crée Touche pas à la blanche hermine, un texte qu’il récite devant public. Dans cette diatribe contre le FN, qu’il qualifie de « parti des aveugles que domine un führer borgne », il martèle que leur combat est loin d’être le même, soulignant que l’hermine a la queue noire et que son pelage en été devient brun, « couleur la plus métisse qui soit ».

Gilles Servat – Je ne hurlerai pas avec les loups (1ère partie)

Gilles Servat – Le chemin bleu (Mad in Sérénité)

Gilles Servat – Le moulin de Guérande (L’Albatros fou)

Gilles Servat – Touche pas à la blanche hermine

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Depuis l’an 2000, le chantre bretonnant continue de chanter et d’écrire. À l’occasion du festival des Vieilles Charrues de 2001, Gilles Servat crée de toutes pièces le spectacle Bretagne, nous te ferons. Puis, en 2003, il reçoit le prestigieux collier de l’Ordre de l’Hermine qui récompense tout individu ayant contribué au rayonnement de la Bretagne; dans son cas, nous pouvons affirmer qu’il s’agit là d’un honneur amplement mérité. Et, afin de remercier son public, il sort en 2006 un best of des chansons les plus appréciées de ses fans, intitulé Je vous emporte dans mon coeur, qui comporte 35 titres pour souligner ses 35 ans de carrière. Invariablement passionné par son coin de pays,  Servat vient tout juste de sortir son dernier opus en 2017, 70 ans… à l’Ouest.

Gilles Servat atteindra bientôt le plateau des 50 ans de carrière, un parcours qui en dit long sur son amour de la culture bretonne, tantôt engagé, tantôt contemplatif, le Gwenn ha du flottant toujours au creux de son coeur, au gré du vent, au gré du temps.

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Paroles

Gilles Servat – Chanson pour le baptême de Virginie
Gilles Servat – Je ne hurlerai pas avec les loups
Gilles Servat – Koc’h ki gwenn ha koc’h ki du
Gilles Servat – La Blanche Hermine
Gilles Servat – Le chemin bleu
Gilles Servat – Le moulin de Guérande
Gilles Servat – Les Prolétaires
Gilles Servat – Le testament
Gilles Servat – L’île de Groix
Gilles Servat – Litanies pour l’an 2000
Gilles Servat – Montparnasse Blues
Gilles Servat – Touche pas à la Blanche Hermine

Discographie

Pour Gilles Servat

1971 – Gilles Servat [45 tours] : La Blanche Hermine/Kalondour

1971 – La Blanche Hermine [33 tours]

1972 – Lo Païs [45 tours] : An Alarc’h/Les Colonies

1973 – Ki Du [33 tours]

1973 – Kalondour [45 tours] : Kalondour/Crubelz

1973 – Bretagne d’aujourd’hui [33 tours/Compil.]

1974 – L’Hirondelle [33 tours]

1975 – La Liberté brille dans la nuit [33 tours]

1976 – Le Pouvoir des mots [33 tours]

1977 – Chantez la vie, l’amour et la mort [33 tours]

1979 – L’Or et le Cuivre [33 tours]

1980 – Hommage à René Guy Cadou [33 tours]

1981 – Gilles Servat en public [33 tours]

1982 – Je ne hurlerai pas avec les loups [33 tours]

1982 – 15 ans de chansons [33 tours/Compil.]

1982 – Gros-Plant et Muscadet [45 tours] : Gros-Plant et Muscadet/La Gueule pleine de vin rouge

1985 – La Douleur d’aimer [33 tours]

1988 – Mad in Sérénité [CD]

1992 – Le Fleuve [CD]

1993 – L’Albatros fou [CD]

1994 – Les Albums de la Jeunesse [CD]

1994 – A-raok mont kuit [CD]

1996 – Sur les quais de Dublin [CD]

1996 – Litanies pour l’an 2000 [CD/Compil.]

1998 – Touche pas à la blanche hermine [CD]

2000 – Comme je voudrai ! [CD]

2003 – Escales [CD/Compil.]

2005 – Sous le ciel de cuivre et d’eau [CD]

2006 – Je vous emporte dans mon coeur (35 ans – 35 tires) [2CD]

2010 – Best of Gilles Servat : 40 ans de succès [2CD/Compil.]

2011 – Ailes et îles [CD]

2013 – C’est ça qu’on aime vivre avec [CD]

2017 – 70 ans… à l’Ouest [CD]

Collaboration avec Dan Ar Braz

1994 – Héritage des Celtes [CD]

1995 – En Concert [CD]

1997 – Finisterres [CD]

1998 – Zénith [CD]

1999 – Bretagne à Bercy [CD/DVD]

2003 – Nuit celtique 2002 au Stade de France [CD]

2014 – Célébration d’un héritage [CD]

Sources

Les 100 ans de Suzy Delair

Le 31 décembre 1917 nait Suzanne Pierrette Delaire dans le 18e arrondissement de Paris, dans une famille modeste. Sa mère, Thérèse Nicola est couturière et son père, Clovis-Mathieu Delaire, est quant à lui brossier. Elle est d’abord apprentie-modiste, mais la scène est l’étoffe dont sont faits ses rêves; la jeune Suzy aspire à être une artiste. Rapidement, la jeune femme s’illustre au music-hall et au théâtre alors qu’elle n’a que seize ans, se faisant remarquer par des légendes comme Marie Dubas ou Mistinguett. Bien vite, elle passe devant la caméra, enchaînant quelques petits rôles au début des années 30 (notons au passage une apparition dans La dame de chez Maxim’s d’Alexandre Korda). Mais c’est dans l’opérette que la pétillante Suzy se fera un nom, avec sa voix claire de mezzo-soprano et sa candeur rafraichissante.

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C’est véritablement dans les années 40 que Suzy Delair atteint son apogée, en tournant pour son amant Henri-Georges Clouzot; elle incarne Mila Malou – une aspirante vedette – dans deux films mettant en vedette Pierre Fresnay dans le rôle de Monsieur Wens (L’assassin habite au 21Le dernier des six). Sa nature enquiquineuse, mais dotée d’un charisme indéniable, transparait à l’écran. Si elle est désormais une star, son éclat est malheureusement terni par une affaire assez grave: sous l’Occupation, elle manifeste des sympathies pro-allemandes, allant même jusqu’à visiter le troisième Reich en compagnie de plusieurs autres artistes, comme Albert Préjean, René Dary ou Danielle Darrieux. À la Libération, Delair est emprisonnée trois mois avant d’être enfin relâchée. Puis, en 1946, la grande dame reprend avec Clouzot en partageant la vedette avec Bernard Blier et Louis Jouvet dans l’excellent Quai des Orfèvres, qui met une fois de plus son talent de chanteuse à l’avant-scène. Suzy Delair y interprète deux goualantes taillées sur mesure pour elle, gracieuseté d’André Hornez et de Francis Lopez. 

Suzy Delair – Avec son tra-la-la

Suzy Delair – Danse avec moi

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Puis, dans les années 50 et 60, elle enchaîne quelques rôles au grand écran, comme dans Lady Paname, où elle incarne une artiste de la Belle Époque (comme la grande Mistinguett qui l’avait découverte), Gervaise de René Clément ou encore Rocco et ses frères de Visconti. Parallèlement à sa carrière d’actrice, Suzy Delair continue de chanter, interprétant des classiques de la chanson française ou des chansons-titres de ses films (Du t’ça dans Lady PanameTu peux pas t’figurer dans Atoll KMoi, j’coûte cher dans Gervaise). Après avoir joué la femme de Louis de Funès dans Les aventures de Rabbi Jacob, ses apparitions au cinéma et à la télévision se feront désormais très rares. La grande dame a depuis tiré sa révérence, et accumule les honneurs qui lui sont dus. Ainsi, en 2004, la Cinémathèque française lui rend hommage en présentant plusieurs de ses films; on réédite ses succès passés (Suzy Delair: Lady Paname en 2006) et la République française lui octroie le grade d’Officier de la Légion d’honneur en 2007. 

Nous aimerions profiter de son centenaire pour lui souhaiter un très joyeux anniversaire !

Suzy Delair – Du t’ça

Suzy Delair – Tu peux pas t’figurer

Suzy Delair – Moi, j’coûte cher

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Paroles

Suzy Delair – Avec son tra-la-la
Suzy Delair – Danse avec moi
Suzy Delair – Du t’ça
Suzy Delair – Moi, j’coûte cher
Suzy Delair – Tu peux pas t’figurer

Sources

  • BOROWICE, Y. Les femmes de la chanson: deux cents portraits de 1850 à nos jours. Paris: Éditions Textuel, 2010, p. 63.
  • CERTIFICAT DE NAISSANCE DE SUZY DELAIR [http://www.cineartistes.com/?page=images&id=1278&type=3] Consulté le 2 janvier 2018.
  • COSTON, H. L’âge d’or des années noires: Le cinéma, arme de guerre ? Publications H. Coston, 1996, p. 97.

Un instrument au nom curieux – L’Hélicon en chansons

Instrument de la famille des tubas, l’hélicon a une histoire un peu difficile à retracer vu qu’il n’a pas connu une très grande popularité. Il aurait été créé en Russie vers l’an 1845 et aurait été produit par le Viennois Ignaz Stowasser afin d’être utilisé lors de fanfares. Près de cinquante après avoir été conçu, un hélicon aurait été modifié en 1893 par J. W. Pepper, un créateur d’instruments de musique de Philadelphie, afin de combler le chef d’orchestre spécialisé dans les marches militaires John Philip Sousa. En effet, ce dernier trouvait que l’hélicon sonnait beaucoup trop fort, et c’est ainsi que serait né le sousaphone, nommé en son honneur.

Son nom provient du grec ancien, ἕλιξ, qui signifie « spirale » car il s’enroulait autour de la personne qui en jouait, rappelant certainement aux hellénistes le massif montagneux de Grèce. Mais, en français, le mot « hélicon » peut évoquer un autre terme, moins musical celui-là… C’est justement de cette façon que le magicien des calembours Boby Lapointe l’employa dans sa chanson L’hélicon, sortie en 1963. Dans cette dernière, il raconte l’histoire d’un forain désirant à tout prix jouer de l’instrument et se trouvant en conflit avec ses parents; ceux-ci lui proposeront de jouer avec la femme tronc, l’homme serpent et son ami Élie… mais rien n’y fait. Et, puisqu’il s’agit d’une goualante du Piscénois, il en profite pour glisser quelques jeux de mots « musicaux » de son cru: la femme tronc pète (trompette), la femme tronc bonne (trombone), jouer au boa (hautbois) et l’ami Élie… qui n’est pas très intelligent (hélicon) !   

Boby Lapointe – L’hélicon

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En 1975, l’éternel comique des Grosses Têtes Sim sortira un 45 tours dont la face A contiendra une chanson sur l’hélicon. Composée par Michel Quidam, la pièce légère et comique accumule les sonorités en -con et en -pon, en misant sur les à-peu-près auditifs. Qui aurait pu croire qu’un instrument inspirât autant par le son… de son nom !

Sim – Je joue de l’hélicon

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Paroles

Boby Lapointe – L’hélicon

Sim – Je joue de l’hélicon

Sources

  • PAGLIARO, M. J. Basic Elements of Music: A Primer for Musicians, Music Teachers, and Students. Rowman & Littlefield, 2016, p. 75.
  • ROHNER. T. The Instrumentalist, Volume 61. Université de Virginie, 2010, p. 45.

Une chanson signée Xanrof – Le Fiacre

Né en 1867, Léon Fourneau était voué à une carrière d’avocat à la cour mais, au grand dam de ses parents, il développe une passion pour le métier de chansonnier. Ceux-ci lui demandèrent toutefois de prendre un pseudonyme afin de ne pas compromettre sa carrière, ce qu’il fit en créant une anagramme de fornax, un terme latin signifiant… fourneau. Rapidement, Xanrof abandonne le droit au profit de la chanson, de l’opérette et des comédies de boulevard; il chantera au célèbre Chat Noir immortalisé par Toulouse-Lautrec, et écrira de nombreux recueils de goualantes et de nouvelles. 

Un jour, une jeune chanteuse se baladait sur les quais et aperçut un de ces recueils; il s’agissait de Chansons sans gêne. Intriguée, elle le feuilleta, le lut au complet avant de l’acheter pour la modeste somme de 8 sous. C’était le sort qui venait de guider Yvette Guilbert à celui dont elle deviendrait l’interprète fétiche. Parmi les pièces que Guilbert a interprétées, la plus connue est très certainement Le Fiacre.

Yvette Guilbert – Le Fiacre


Alors qu’il faillit un jour se faire écraser par un fiacre, Xanrof aperçut qu’il y siégeait un jeune couple dont les amourettes avaient été dérangées. Le chansonnier s’imagina alors une aventure se déroulant dans un fiacre, rappelant sans aucun doute des scènes similaires dans Madame Bovary ou Du côté de chez Swann. Une fois écrite et composée, Le Fiacre fut représenté pour la première fois par son auteur au Concert du Paradis Latin, mais c’est véritablement Yvette Guilbert qui la rendra célèbre, bien que cela ne fut pas facile. La grande rousse aux gants noirs présentera la goualante à l’Eden-Concert, avant que la direction ne lui réplique sèchement que Le Fiacre « devrait être réservé à la province ». Ce sera à Liège finalement que Guilbert créera la pièce, au Pavillon de Flore, et l’enregistrera sur cylindre en 1897. Ce sera un véritable triomphe, et voici d’ailleurs un billet qu’elle aurait envoyé à l’auteur de la goualante au début des années 1890:

« Cher Monsieur Xanrof,

J’irai vous voir samedi, deux heures et demie afin de fouillasser vos chansons et de préparer celles qui peuvent convenir à mon bout de talent. Toute la semaine passée, j’ai rechanté Le Fiacre, et quand je ne le chantais pas, on criait dans la salle, et il me fallait revenir; je vous suis bien reconnaissante de mon succès, car c’est la chanson seule qui fait plaisir à entendre, etc. »

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Reprises

En 1939, Jean Sablon interprétera à son tour Le Fiacre, et on peut remarquer qu’il fait claquer sa langue au début, pour rappeler le trot des chevaux. D’autres interprétations suivront, notamment par Germaine Montero, Cora Vaucaire, Colette Renard et même la grande Barbara. Le célèbre chansonnier Georges Brassens la reprendra pour un disque consacré aux chansons de sa jeunesse.

Jean Sablon – Le Fiacre

Patachou – Le Fiacre

Georges Brassens – Le Fiacre

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Clin d’oeil

Crédit photo: Joost Evers / Anefo

En 1964, Marcel Amont a enregistré une parodie de la pièce écrite par Jean-Claude Massoulier, intitulée La Jaguar. Il faut dire qu’au début des années 60, les fiacres avaient complètement disparu des rues parisiennes… il était nécessaire de ‘moderniser’ la chanson. Dans cette version, les onomatopées du refrain « Cahin-caha, hue dia! Hop là! » ont été remplacés par un son de moteur ronronnant (qu’Amont fait lui-même avec sa bouche) et l’amant s’appelle désormais Johnny. Le goût yéyé de la pièce est même renforcé par quelques notes empruntées à la chanson « If I had a hammer » que l’on entend après le refrain. On peut dire que Le Fiacre aura fait du chemin depuis le temps qu’il roule!

Marcel Amont – La Jaguar

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Paroles

Marcel Amont – La Jaguar

Georges Brassens – Le Fiacre

Yvette Guilbert – Le Fiacre

Jean Sablon – Le Fiacre

Sources

La doyenne de la chanson française s’éteint – Le parcours de Leo Marjane

Le 18 décembre décédait Leo Marjane, défrayant la manchette une dernière fois après une carrière de renommée mondiale. Une petite recherche révèle cependant que les sources ne s’accordent pas sur plusieurs détails; pour les uns, elle serait née Thérèse Gendebien en 1912, et pour les autres, elle aurait vu le jour en 1918. On lui accorde tantôt le désir de devenir avocate, acrobate ou encore écuyère, autant de professions qu’elle laissera au profit de la chanson. Et pour cause, car sa voix de contralto la destinait à ce métier, qu’elle débute dans les cabarets marseillais, à l’Eldorado et à l’Alcazar; c’est justement dans la même ville qu’elle rencontre son futur mari Raymondey (Raymond Gérard). C’est alors qu’elle monte à Paris en 1931 avant de se produire dans différentes boîtes un peu partout dans la capitale et enregistre l’année suivante ses premières goualantes chez Gramophone, Les Prisons et Paris-Noël. La carrière de Léo Marjane est lancée!

Leo Marjane – Paris-Noël

Leo Marjane – Les Prisons

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Après quelques enregistrements chez Columbia et Ultraphone, c’est toutefois quelques années plus tard, en 1937, qu’elle grave sur disque son premier succès, La chapelle au clair de Lune, une adaptation d’une chanson populaire écrite par Billy Hill et créée par Shep Fields. C’est un véritable triomphe pour la jeune vedette qui n’a alors que vingt-cinq ans; sollicitée de toute part, elle quitte la France pour les États-Unis, où elle découvrira le jazz en compagnie de Jean Sablon et Jacqueline François. Lors de son retour au pays natal en 1941, Marjane rapportera dans ses valises des souvenirs de l’Amérique, dont des conseils vestimentaires de Ginger Rogers (!) et des adaptations de Over the Rainbow et Begin the Beguine.

Leo Marjane – La chapelle au clair de Lune

Leo Marjane – L’Arc-en-ciel

Leo Marjane – Divine Biguine

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Son retour en France se fait toutefois sous d’étranges auspices; c’est sous le ciel d’étoiles ternies du Maréchal Pétain que brillera de tous feux son statut de star. Marjane fait la tournée des cabarets et y accumule les succès, dont (Je suis) Seule ce soir, une création de Rose Noël et Jean Casanova, sur une musique de Paul Durant. Désormais, la scène parisienne est divisée entre la chanteuse d’origine boulonnaise et la Piaf! S’il s’agit d’un véritable triomphe pour elle, il y a cependant une ombre au tableau: de nombreux Nazis viennent l’applaudir tous les soirs et, en 1942, elle chante une adaptation française de Lili Marlène, la chanson de marche de l’Afrika Korps… Il n’en faut pas moins pour que de mauvaises langues insinuent son penchant pour le 3e Reich. Et pourtant, il n’en est rien!

En effet, son deuxième mari, le Colonel Charles de Ladoucette, faisait partie d’un réseau de la Résistance financé… par nulle autre qu’elle même! De plus, la petite histoire rapporte que l’artiste aurait supposément entonné Bei mir bist Du schön, chanson originalement écrite en yiddish en plein Paris occupé! 

Leo Marjane – (Je suis) Seule ce soir

Leo Marjane – Bei Mir bist Du Schön

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À la Libération, Marjane sera questionnée par le comité d’épuration, et sera éventuellement lavée de tous soupçons – elle est cependant frappée d’interdiction de travailler jusqu’au début des années 50. Si l’avenir de la France semble prometteur, on ne peut en dire autant du sien; la chanteuse commence à perdre petit à petit la faveur du public et des critiques au profit d’Édith Piaf. Dès 1945, elle entame une séries de tournées (en Angleterre, en Belgique, en Russie, au Québec ou encore au Brésil) et continue à enregistrer en studio, comme Mademoiselle Hortensia ou encore Mets deux thunes dans l’bastringue. Cela ne suffira pas à maintenir sa carrière, à laquelle elle renoncera finalement en 1961.

Lors de son centenaire fêté à Barbizon, Marjane a accordé une entrevue à Marie-Christine Morosi au sujet de ses années passées dans le milieu de la chanson. À la question lui demandant quelle(s) chanson(s) de son répertoire il fallait retenir, la grande dame a répondu: À Shanghai ou ailleurs et On m’a volé tout ça. Laissons-nous sur ses deux goualantes en guise de dernier souvenir de la grande dame de la chanson que fut Leo Marjane. 

Leo Marjane – On m’a volé tout ça

Leo Marjane – À Shanghai ou ailleurs

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Paroles

Leo Marjane – À Shanghai ou ailleurs
Leo Marjane – Bei Mir bist Du schön
Leo Marjane – Divine biguine
Leo Marjane – (Je suis) Seule ce soir
Leo Marjane – La chapelle au clair de Lune
Leo Marjane – L’Arc-en-ciel
Leo Marjane – Les Prisons
Leo Marjane – On m’a volé tout ça
Leo Marjane – Paris-Noël

Sources

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création de Laitche.