Alors qu’aujourd’hui la langue parlée dans les rues de Paris ne semble vibrer qu’aux inversions du verlan, c’était tout autre chose au 19e siècle. En effet, il y avait à cette époque de nombreux jargons propres à certaines professions; si le louchébem était le jargon des bouchers, le javanais était un argot particulier surtout restreint au monde « des coulisses et des filles ». Si l’origine du nom reste encore difficile à cerner de nos jours, la composition du javanais était toute simple: il suffisait d’ajouter « av » ou « va » après chaque syllabe, afin de confondre toute personne profane qui tenterait d’écouter une conversation entre initiés. Voyez si vous pouvez, à première lecture, comprendre la phrase suivante:
En 1956, Boris Vian compose La java javanaise dans laquelle il s’amuse à user de cet argot qui était alors en déclin, voire tout à fait tombé en désuétude. Après une première strophe en français, le même texte est répété et adapté en javanais, ce qui donne un mélange incompréhensible à l’oral. Et évidemment, le tout sur fond de java pour bien boucler la boucle!
L’année suivante, la pièce est offerte à Louis Massis, jeune comédien alors prometteur et qui fait partie des « Nouvelles Têtes de la Chanson », dont chaque membre enregistrera un disque le même jour. Malheureusement pour l’interprète, aucune des « Nouvelles Têtes » n’obtiendra de grands succès dans leur carrière respective. Ça a été fort dommage dans son cas, puisqu’il avait une certaine affinité pour le comique, ce qui transparaît beaucoup plus dans son interprétation d’une autre composition de Vian (Frankenstein).
Pendant les années folles et l’entre deux guerres, Charles Trenet est sans contredit une star établie de la chanson française. Après une fructueuse collaboration avec son comparse Johnny Hess, le fou chantant décide de faire cavalier seul. Et, en cette année de 1938, Trenet est en pleine forme ; il enregistre deux de ses plus grands succès, Ménilmontant et Boum! Cette dernière chanson, parsemée d’onomatopées comme son titre le suggère, est avant tout celle d’un amour qui rend la vie plus agréable… Mélopée légère, texte guilleret, Boum! fait partie des pièces célébrant la joie de vivre – fait ironique puisqu’elle ne précédera la Deuxième Guerre Mondiale que d’un an, où les « boums » seront d’une nature tout autre. Trenet remportera d’ailleurs le grand prix du disque « candide » pour sa chanson onomatopéante.
Clin d’oeil
Alors en pleine guerre, le ministère du Troisième Reich ne détourne pas seulement les informations à des fins défaitistes – des chansons populaires en font également les frais. Charlie and his orchestra interprèteront ainsi de nombreux morceaux – dont les originaux sont interdits d’écoute en Allemagne – dont évidemment Boum! à une nouvelle sauce. Dans cette version, intitulée Bom, mentionne au passage un Étasunien dont le sous-marin a des ratés car il y a des boums !
Charlie and his orchestra – Bom
Mais, fort heureusement, il n’y aura pas seulement un détournement nazi de la chanson : Hergé, le célèbre dessinateur, paraphrasera également la chanson dans un des albums de Tintin. Eh oui, dans l’album Tintin au pays de l’or noir – dont les premières esquisses auront lieu en 1939 dans le Petit Vingtième – les Dupondt entonnent l’air célèbre à cause d’une publicité pour les dépanneuses Simoun.
Reprise
Au début des années 60, le groupe de rock The Shadows et leur frontman, Cliff Richard, enregistrent plusieurs goualantes en français – étrange tout de même pour des musiciens anglais, il faut le dire ! Parmi les quatre morceaux interprétés se trouve évidemment Boum!, qui revêtira à l’occasion une tenue plutôt rock’n’roll.
Ignorée du public francophone (et anglophone), la nouvelle Boum! échouera une dizaine d’années plus tard sur un LP belge et ne refera surface qu’une dernière fois, sur une compilation de chansons en « langue étrangère » interprétée par le fameux Cliff : On the Continent.
Cliff Richard – Boum!
Il existe des versions instrumentales aussi, comme celles du Heinz Huppertz Tanzorchester (1939), d’Hector Delfosse ou encore de Georges Arvanitas (1958), Guy Boyer et son quartette (1957) et André Reweliotty. Des chanteurs solos entonneront la ritournelle, tel Jacques Hélian (1964). Enfin, des groupes passeront la pièce sous le graveur, comme Michel Villers et Jean-Pierre Sasson (1957), Les Ventura (1962), et Taxi bleu fera un mash-up avec deux autres chansons du fou chantant (1977).
Heinz Huppertz Tanzorchester – Boum!
Taxi bleu – La mer/Douce France/Boum!
Plus récemment encore, la goualante a été utilisée pour la bande sonore du dernier James Bond au moment où ses lignes sont écrites, Skyfall. Alors que l’agent du MI6 est enlevé et amené (de force) sur l’île du méchant de service, Tiago Rodriguez, la chanson peut être entendue un bref instant sur des enceintes de pacotille. Vu par des millions de spectateurs, le film causera peut-être un nouveau boum pour la popularité de Trenet…
Léo Ferré, avec ses quarante-six années de carrière et ses nombreux succès (Avec le temps, Ni Dieu ni maître, Paris canaille etc.), est une figure de proue de la chanson populaire, et surtout française. Car même s’il est Monégasque de naissance, et a pour mère une Italienne, Léo Ferré n’en demeure pas moins francophone, pardi! En 1962, il critique une tendance particulière en France: celle de parsemer d’anglicismes sa langue afin de paraître cultivé. Ferré crée donc La langue française, dans laquelle toutes les strophes contiennent bon nombre de mots de la langue de Shakespeare.
Léo Ferré – La langue française
Cependant, vu le grand nombre de mots acceptés dans les dictionnaires actuels, se pourrait-il que quelques-uns de ces « anglicismes » n’en soient tout simplement pas ? Voici la liste, et tentez, cher lecteur ou chère lectrice, de trouver quels sont les mots qui ne sont pas des anglicismes, selon le petit Robert 2014 :