Beyrouth, ton horizon m’appelle – Le Pays du cèdre en musique

Connu pour ses blanches montagnes, son humus ainsi que sa population cosmopolite, le Liban est avant tout héritier d’une culture riche; au fil du temps, plusieurs peuples se sont croisés et affrontés au coeur même du pays du cèdre, qu’ils soient Phéniciens, Grecs, Romains, Arabes ou Ottomans, ce qui affecte encore aujourd’hui la composition ethnique et religieuse du pays. Après la première guerre mondiale, le Liban deviendra une colonie française avant d’obtenir son indépendance en 1943 et, depuis, cultivera une relation particulière avec la langue française. Si elle n’est pas une langue officielle comme l’arabe, elle est cependant parlée à différents degrés par la moitié de la population et est employée régulièrement dans l’enseignement. De plus, la Suisse du Proche-Orient fait partie de la Francophonie et a même été pays hôte pour un Sommet en 2002. Voyons un peu comment les chanteuses et chanteurs francophones ont dépeint en musique ce pays du Levant.

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En 1963, la carrière d’Enrico Macias vient tout juste de prendre son envol, et le chanteur pied-noir se fait connaître partout, même dans le monde arabe. En effet, le Constantinois d’origine a dans son répertoire bon nombre de pièces arabo-andalouses que le public levantin sait apprécier. Après une tournée triomphante au Liban, Macias décide à cet effet d’enregistrer une chanson qui glorifierait la capitale libanaise, Beyrouth. Mélangeant une poésie envoûtante et une musique dépouillée, le morceau encense le ciel du Liban entre le jour et la nuit, peut-être du point de vue de ces montagnes majestueuses qui traversent le pays. L’orgue ajoute d’ailleurs une dimension à la profondeur des sentiments, si ce n’est que par une certaine mélancolie anticipée: Enrico Macias sera interdit de séjour au Liban lorsqu’il refusera de renier publiquement ses origines juives tel que l’exigeait la Ligue arabe. De Beyrouth, il ne lui reste désormais que des souvenirs, lointains, se balançant au rythme de sa chanson éponyme…

Enrico Macias – Beyrouth

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Les années de guerre

Le Liban connaîtra par la suite une période sombre et douloureuse, encore ressentie aujourd’hui autant au pays que dans la diaspora. Au début des années 70, la Jordanie expulsera l’OLP et bon nombre de Palestiniens suite aux évènements de Septembre Noir; les hommes de Yasser Arafat et les réfugiés trouveront un havre de paix au pays du cèdre. Hélas, cela ne devait pas durer. Les tensions entre Libanais maronites et Palestiniens musulmans s’accroîtront peu à peu à Beyrouth et précipiteront le pays entier dans un conflit meurtrier pendant quinze ans, au cours duquel la Syrie et Israël viendront ajouter à la division et à la confusion géopolitiques. En 1990, l’invasion syrienne mettra fin à la guerre civile libanaise qui aura coûté la vie à plus de 100 000 personnes, dont beaucoup de civils. C’est justement cette vision d’un Liban déchiré, décimé et meurtri que chanteront les artistes au cours des années 80.

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En 1984, Isabelle Aubret sort un 45 tours dont la chanson titre est tout simplement intitulé Beyrouth. Dans cette pièce, Aubret présente une place idyllique, à mi-chemin entre l’Europe et l’Asie, mais tout cela était « avant l’orage ». En effet, dès le deuxième couplet, elle décrit au contraire un endroit cauchemardesque, où « L’avenue du Liban ressemble à Stalingrad/Des femmes et des enfants errent dans les décombres/Une kalachnikov balaye les façades/Qui peut dire d’où viennent/Les obus et les bombes ? ». Mais, optimiste, la goualante ne se termine pas sur une note tragique; Aubret conclut avec l’espoir qu’un jour, tout redeviendra comme avant, « Un jour avant l’orage/Un jour avant l’enfer »

Isabelle Aubret – Beyrouth

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Deux ans plus tard, en 1986, c’est au tour d’Adamo d’écrire une chanson au sujet du Liban, lui qui avait plusieurs années plus tôt composé la sublime Inch’Allah. Il s’agit de Les collines de Rabiah, sorti en face A d’un 45 tours. La ville, connue aujourd’hui sous le nom de Rabieh, se trouve en périphérie de Beyrouth; elle aurait vu sa population augmenter pendant la guerre civile, lorsque les Maronites quittaient en masse les quartiers de la capitale. Le chanteur engagé se permettra même de faire allusion à deux massacres de civils qui ont eu lieu quelques années plus tôt: Que l’on massacre l’innocence /Comme à Damour ou Chatila/Qu’on vienne d’Amérique ou de France/Mourir au nom de quel Allah. En 1976, les milices palestiniennes massacrèrent des centaines de civils libanais à Damour en réaction à un carnage perpétré quelques jours plus tôt dans un quartier de Beyrouth; en 1982, suite à l’assassinat de Bachir Gémayel, les Phalanges libanaises d’Élie Hobeika entrèrent dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, alors sous supervision israélienne, et y tuèrent des centaines, voire des milliers de réfugiés… Le sang répondait au sang, au grand chagrin d’Adamo et de l’humanité.

Salvatore Adamo – Les Collines de Rabiah

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En 1989, trois chansons françaises lamentant le triste sort du Liban verront le jour presque en même temps. Guy Béart, chansonnier bien connu originaire d’Égypte, avait séjourné une dizaine d’années au pays du Cèdre, entre 1940 et 1947. Lors de son retour dans l’État levantin, il décide de créer la pièce Liban libre le 13 mai pour redonner espoir à une population meurtrie; Béart l’entonnera sur la place des Martyrs, dans les ruines de Dora et au palais présidentiel où se trouvait le général Aoun. Sur un fond de musique bien méditerranéen, le chansonnier plaide pour le bien-être des enfants, premières victimes de tous conflits; il y ajoutera aussi quelques mots arabes, pour lui donner un caractère bien libanais.

Guy Béart – Liban libre

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Daniel Guichard, quant à lui, composera une pièce beaucoup plus sombre, Le droit de vivre, sur son album Pour elle. Ce morceau souligne les effets d’un conflit armé non seulement sur la population, mais aussi sur le pays: « On prend les hommes en otages dans ce paradis perdu/C’est une guerre d’un autre âge où l’avenir est vaincu/Les soldats sont en guenilles, fanatiques et affamés/Pendant que le soleil brille sur des plages désertées ». Il faut noter l’ajout de bruit de rafales et d’explosions au début, pour bien marquer le contexte de la guerre civile. Enfin, un collectif de 75 artistes français se réuniront pour créer une chanson, à l’instar de Do they know it’s Christmas de Band Aid, dont les bénéfices seraient au profit des enfants du Liban. Sur une musique de Cyril Assous et les paroles de Pierre Delanoë, plusieurs artistes ont chanté en choeur pour aider la cause, dont Salvatore Adamo, Yves Duteil, Frida Boccara et Didier Barbelivien, pour ne nommer que ceux-là. 

Daniel Guichard – Le droit de vivre

75 artistes – Liban

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L’après-guerre

En 2006, Bernard Lavilliers se trouve à Beyrouth lorsque les dessins danois du prophète Mahomet enflamment le monde musulman; non seulement est-ce que le consulat du Danemark est incendié, mais les émeutiers en profitent pour détruire les vitrines des magasins d’Achrafiyeh, un quartier chrétien de la capitale libanaise. Sur un fond de reggae, il raconte ce qu’il a vu: « Soleil rutilant des vitrines/Désintégrées par la machine/Samedi soir à Beyrouth/Cicatrices fardées« . Lavilliers confiera plus tard au Figaro qu’il avait été soulagé qu’il n’y ait eu de représailles de la part des Maronites – ce qui aurait pu très certainement déclencher une autre guerre civile. Mais les cicatrices, que mentionne le chanteur, sont bien réelles et peuvent à tout moment refaire surface.

Bernard Lavilliers – Samedi soir à Beyrouth

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Enfin, parlons de la diaspora libanaise, ce dont fait partie notre dernière artiste, Yara Lapidus. Née en 1972 dans une famille à la fois intellectuelle et artistique à Beyrouth, elle passe son enfance à Tyr, avant de partager son adolescence entre le Proche-Orient, les États-Unis et la France. Bercée par la culture occidentale, elle n’oublie pas cependant ses origines; son premier album lancé en 2009 contient une chanson à cet effet, Le cèdre. Dans ce morceau, Yara avoue que si elle a voyagé depuis sa jeunesse à Tyr et si elle se trouve loin du Liban, le pays du cèdre quant à lui est toujours près d’elle, dans son coeur et dans son âme.

Yara Lapidus – Le cèdre

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Après ce voyage au coeur du Liban, entre ses montagnes et son ciel étoilé, j’espère que vous avez pu apprécier un peu ce pays levantin, et y goûter autant la douceur de sa tranquillité que l’amertume de ses dissensions. Malgré le conflit qui l’a déchirée pendant quinze ans, Beyrouth trône toujours, orgueilleuse et majestueuse. Les années de guerre n’auront suffit à la réduire au silence. Quittons-nous sur quelques citations du grand poète libanais Khalil Gibran, tirées de son recueil de poèmes Mon Liban:

Votre Liban est un imbroglio politique
que le temps tente de dénouer.
Mon Liban est fait de montagnes qui s’élèvent
dignes et magnifiques vers l’azur.

[…]

Votre Liban vit de navires marchands et de commerce.
Mon Liban est une pensée informulée, un désir vif 
Et une parole noble que la terre chuchote à l’oreille de l’univers.

[…]

Votre Liban ne cesse de se séparer de la Syrie puis de s’y rattacher;
Il ruse de chaque côté pour tenter de gagner sur tous les terrains.
Mon Liban ne se sépare pas plus qu’il ne se rattache;
Il ne connaît ni conquête ni défaite.

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Paroles

75 artistes – Liban

Salvatore Adamo – Les collines de Rabiah

Isabelle Aubret – Beyrouth

Guy Béart – Liban libre

Daniel Guichard – Le droit de vivre

Yara Lapidus – Le cèdre

Bertrand Lavilliers – Samedi soir à Beyrouth

Enrico Macias – Beyrouth

Sources

Droits d’auteur

  • La photo du centre-ville de Beyrouth est une création de Bertil Videt.
  • La photo d’Enrico Macias est une création de Joop Van Bilsen / Anefo.
  • La photo d’Isabelle Aubret est une création de Harry Pot/Anefo.
  • La photo de Daniel Guichard est une création de RaphGuich.
  • La photo de Bernard Lavilliers est une création de Benoît Derrier.

上を向いて歩こう – Sous la pluie d’étoiles de Kyu Sakamoto

Hasashi Oshima a suivi un des parcours les plus singuliers de la musique du monde. Né seulement quatre jours après l’attaque des forces impériales nippones sur la base étasunienne de Pearl Harbor, le chanteur connu sous le nom de Kyu Sakamoto a marqué l’histoire de la pop japonaise. En 1961, à l’âge de vingt ans seulement, il créera le hit planétaire Ue o muite arukou, une ballade mélancolique sur la solitude et la nostalgie des jours passés. Le titre signifie en japonais « Je regarde le ciel en marchant », et c’est ce que fait le protagoniste afin d’éviter que ses larmes ne coulent sur ses joues.

Le parolier Rokusuke Ei était allé à une protestation contre l’ANPO (Le Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon) qui venait d’être signé en janvier 1960; ce traité prévoyait une continuation de la protection du pays du Soleil-Levant par l’Oncle Sam. En revenant d’une de ces manifestations, et frustré par l’inefficacité des démonstrations, Ei aurait écrit les paroles de la chanson.  

Le responsable de Pye Records, Louis Benjamin, était de passage au Japon lorsqu’il entendit la chanson; il se procura le disque afin qu’un des jazzmen de son label, Kenny Ball, puisse l’enregistrer. Mais puisque le titre de la pièce est perçu comme trop difficile à comprendre, Pye Records décide de la renommer Sukiyaki, un plat de fondue japonaise… qui n’a pourtant rien à voir avec le contenu de la goualante. Alors que la version de Ball commence à grimper dans le palmarès anglais, le disc-jockey étasunien Rich Osborne met la main sur une copie originale et la fait tourner. Il n’en faut pas plus pour que l’original devienne un véritable hit aux États-Unis – le 15 juin 1963, la chanson connue désormais sous le titre de Sukiyaki est numéro 1 au Billboard!

Sakamoto connaîtra un autre succès, plus modeste, avec la chanson China nights, et continuera d’endisquer de nombreux hits dans son Japon natal. Hélas, comme une étoile filante, le jeune crooner n’était que de passage; il périra avec plus de 500 autres passagers lors de l’écrasement du vol 123 Japan Airlines… 

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Le succès inattendu de la chanson japonaise entraîna de nombreuses adaptations et traductions; tout d’abord en anglais, puis dans d’autres langues dont évidemment le français. Dès 1963, une première version de Ue o muite arukou dans la langue de Molière se fait entendre dans le monde. Devenue désormais Sous une pluie d’étoiles sous la plume de Frank Gérald, la goualante parle plutôt d’un amour de jeunesse, naïf mais sincère. Marcel Amont interprétera une version assez métissée: il mélangera le japonais original, le titre anglais de Sukiyaki et quelques passages en français. Il existerait aussi un cover de Tichky, un chanteur d’origine asiatique peu connu. Au Québec, c’est une jeune chanteuse prometteuse du nom de Claude Valade qui assurera une performance vocale chaleureuse. Ce sera d’ailleurs une des premières pièces que chantera l’artiste des Laurentides. L’année d’après, une autre version tournera à la radio, celle de Margot Lefebvre, une vedette de la chanson québécoise plus établie que Valade.

Marcel Amont – Sous une pluie d’étoiles

Claude Valade – Sous une pluie d’étoiles

Margot Lefebvre – Sous une pluie d’étoiles

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Plus récemment, Ue o muite arukou sera réinterprétée par Clémentine en 2011. Parsemant comme Amont sa version française de bribes de l’original japonais, l’artiste française proposera une nouvelle adaptation de son cru. Sur un fond de musique plus folk, ce ne sera plus un amour sous un ciel d’étoiles, mais plutôt une rupture; la chanteuse sera de fait plus fidèle à la goualante créée par Sakamoto. Fait intéressant, Clémentine a vu le jour la même année que l’envol de Sukiyaki au palmarès et, vu sa carrière florissante au pays du Soleil-Levant, tout porte à croire qu’elle est née sous une bonne étoile, peut-être sous une pluie d’étoiles…

Paroles

Marcel Amont – Sous une pluie d’étoiles

Clémentine – Ue o muite arukou

Margot Lefebvre – Sous une pluie d’étoiles

Claude Valade – Sous une pluie d’étoiles

Sources

Je cherche après Titine… et je l’ai trouvée!

En 1917, la Grande Guerre rage en Europe et la France est en première ligne. Mais qui dit conflit, ne dit pas forcément la fin de la vie mondaine. Un trio de paroliers – Marcel Bertal, Louis Maubon et Henri Lemonnier – de même que le compositeur Léo Daniderff conjuguent leurs efforts respectifs pour composer une chanson humoristique qui aura un certain succès, Je cherche après Titine. Créé par Gaby Montbreuse, le morceau traite de la recherche inexorable qu’effectue le narrateur pour retrouver Titine qui, malgré des images qui pourraient rappeler une femme – comme un collier – n’est autre qu’une chienne! Près d’une décennie après ce premier succès, le duo Bertal-Maubon et Daniderff récidivent en 1926 avec J’ai retrouvé Titine. Mais, ironie du sort, cette nouvelle mixture est malheureusement aujourd’hui très difficile à trouver… Des deux plus anciennes versions disponibles, il y a celle de Léonce et de Marcelly. Si ce dernier semble chanter les paroles originales, la Titine de Léonce paraît bien plus humaine puisqu’il l’accuse de le faire cocu!

Marcelly – Je cherche après Titine

Léonce – Je cherche après Titine

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1917, c’est aussi l’année pendant laquelle les États-Unis entrent en guerre aux côtés de la France et de l’Angleterre. Alors qu’ils sont stationnés en France, les soldats de l’oncle Sam entonnent la chanson et elle devient, tout comme Quand Madelon pour les Poilus, leur hymne non-officiel. La goualante restera assez longtemps populaire puisque Charlie Chaplin lui-même l’emploiera sur pellicule dans Les Temps Modernes, un film datant de 1936. Dans une scène plutôt loufoque, Charlot doit interpréter la chanson devant public mais il perd malencontreusement les manches de chemise où sont inscrites les paroles; il improvise donc un mélange d’italien et de français, au grand plaisir des clients qui n’y voient que du feu. 

La chanson ne tombe toutefois pas en désuétude puisque nombre de différents artistes reprendront avec succès la pièce originellement créée par Gaby Montbreuse. En effet, la reprise d’Andrex en 1958 semble insuffler une seconde vie au morceau, repris entre autres par Yves Montand (1959), Anny Flore (1959), Les Célibataires (1964) et Georgette Plana (1971) pour ne nommer que ceux-là. Si la version de Montand est plutôt jazz – il se permet de faire du scat une fois le refrain entonné – Andrex présente une variante où il est évident, à la fin, qu’il s’agit d’un amour de race canine ! 

Yves Montand – Je cherche après Titine

Andrex – Je cherche après Titine

Clin d’oeil

En 1963, le grand Jacques sort la chanson Titine, dans laquelle il rend hommage à la création de Bertal-Maubon-Lemonnier. Dans sa version de la goualante, le chanteur belge court après une Titine bien humaine – et non un chien – qui l’avait quitté des années auparavant pour voir un film… de Charlot, référence évidente à l’utilisation de la chanson par la star des Temps Modernes. Brel se permet même d’en rajouter, en critiquant l’apparence de cette flamme volage en la comparant au personnage de Chaplin: « T’es un peu moins tentante/Puis tu marches comme Chaplin/Puis t’es devenue parlante »!

Jacques Brel – Titine

 

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Spirou et Fantasio - Je cherche après tétine

Enfin, n’oublions pas de mentionner Franquin, qui en 1967 se permet de détourner la chanson à son tour. Alors que Zorglub a été réduit à l’état mental d’un bambin, le comte de Champignac, ainsi que les intrépides Spirou et Fantasio doivent s’occuper de lui, le nourrir, le bercer et tutti quanti. Et que fredonne le célèbre rouquin en préparant un lait chaud?

Paroles

Andrex – Je cherche après Titine

Jacques Brel – Titine

Léonce – Je cherche après Titine

Marcelly – Je cherche après Titine

Yves Montand – Je cherche après Titine

Sources

  • CALVET, J.-L. Cent ans de chanson française. Paris: L’Archipel, 2008, p. 298.
  • DU TEMPS DES CERISES AUX FEUILLES MORTES [http://dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/27_je_cherche_apres_titine.htm] Consulté le 6 juin 2015.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 11 juin 2015.

Remerciements

Merci aux utilisateurs Youtube GAMBLINGSHIP, AVANTI LAMUSICA, KOSTEPENDRHS et MAX26111000.

Bons baisers de Russie – Nathalie de Gilbert Bécaud

En 1963, le tandem Bécaud-Delanoë frappe derechef et en plein milieu de la cible, près de 10 années après leur première rencontre. Cette fois-ci, le sujet étonne un peu. Et pour cause ! Delanoë, un anticommuniste avoué – il devra être convaincu bien de force par Sardou pour écrire quelque chose de favorable pour le régime russe dans Vladimir Illitch – s’avère un russophile cependant ! Pour présenter un peuple bien loin des chefs communistes qui la dirige, Delanoë rédige les premières lignes en s’inspirant de l’imagerie typique de Moscou, comme la place Rouge. L’héroïne prénommée Natacha porte déjà en elle un succès à venir : Qu’elle était jolie cette Russe rousse/Sur la place Rouge/Natacha des lointaines Russies…

Pourtant Bécaud, à la première lecture, n’est pas inspirée par la Moscovite. Cela prendra plusieurs mois – au cours desquels Delanoë reviendra à la charge – avant que Monsieur 100 000 volts n’acceptât enfin de composer la musique qui accompagnerait la chanson à venir. Le parolier profita du fait qu’ils étaient tous deux dans leur cabane du Chesnais, où était né plusieurs créations, pour lui glisser les deux premières lignes :

La place Rouge était vide
Devant moi marchait Nathalie…


L’homme à la cravate à pois n’en a pas besoin de plus ; assis au piano, il compose rageusement la presque totalité de la musique et, la même journée, Delanoë termina la redaction du texte. Il s’agit d’ailleurs d’une drôle de chanson : composée en 1964, juste après la crise des missiles de Cuba et la même année que le remplacement de Khrouchtchev par Brejnev, elle dépeint de façon positive la vie moscovite.
Pour le lancement du disque, Georges Cravenne a une idée du tonnerre : il convie le gratin parisien sur la place Rouge et, pour leur visite de la capitale, un guide prénommée…Nathalie ! Même si le succès se fait attendre en France, la chanson semble cartonner à l’étranger ; il paraît qu’un soir, alors qu’il était en coulisses de l’Olympia, Delanoë se fit empoigner à la russe par l’ambassadeur de l’Union Soviétique, le camarade Vinogradov. La raison ? Nathalie charmait en Amérique du Sud, provoquant de la sympathie pour l’URSS par la même occasion…

En 1967, alors qu’ils sont à Berlin-Est, Bécaud et Delanoë découvrent que le morceau est bien connu des Allemands, à une petite différence près : Nathalie est une espionne d’Oncle Sam dans l’adaptation allemande !

Gilbert Bécaud – Nathalie

Clin d’oeil

Au début des années 80, Bécaud et Delanoë composent une suite à la chanson, intitulée fatalement La fille de Nathalie. Dans cette chanson-ci, qui se déroule à Léningrad plutôt qu’à Moscou, une jeune étudiante parle sa vie actuelle en Russie et de son désir de voir le monde. Sous l’aspect d’une lettre écrite à son père (Gilbert Bécaud, évidemment), elle souligne la dure réalité des Russes pour obtenir un passeport pour voyager, pour voir son paternel qui vit en France. L’hiver (lire le régime communiste) est toujours en place, froid et implacable, mais « c’est bientôt le printemps« . Parlant de sa mère (Nathalie), elle se demande ce qu’était la vie autrefois et il y a l’inévitable clin d’oeil à la désormais célèbre chanson :

Avec maman, quand le cœur est au gris
Après l’dîner, on se passe « Nathalie »
Ça la fait un peu pleurer
Et moi, ça me fait danser

Rappelle-toi, la place était vide
Et dans ce temps-là, maman était guide
Pouchkine, elle en parle tout l’temps
C’était son bon temps  

Gilbert Bécaud – La fille de Nathalie


Pour la petite histoire, Monsieur 100 000 volts sera invité à Moscou en 1987, par le biais de l’association France-URSS. Bécaud, accompagné par une journaliste du nom de Tatiana Boutchoskaïa, visitera plusieurs recoins de la capitale soviétique ; la visite se terminera dans un petit bistrot sympa qui n’était nul autre que… le café Pouchkine ! Une autre version présente Pierre Delanoë dans le rôle principal… Même si cette histoire est très certainement apocryphe (le premier café Pouckine ne verra le jour qu’en 1999), elle permet tout de même de dire qu’une chanson peut voyager bien au-delà des barrières linguistiques et culturelles…

До свидания, с любовью ! 

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Paroles

Gilbert Bécaud – Nathalie

Gilbert Bécaud – La fille de Nathalie

Discographie

1964 – 45 tours SP : Nathalie/Ma souris danse [Canada]

1964 – 45 tours EP : Nathalie/Ma souris danse/L’aventure/Mon arbre

1964 – 45 tours SP : Au revoir « Don’t look back »/Nathalie [Argentine]

1972 – 45 tours EP : Nathalie/Les petites mad’mselles/Et maintenant/Un peu d’amour et d’amitié [Pologne]

1977 – 45 tours SP : Et maintenant/Nathalie [Belgique]

1983 – 45 tours SP : Desperado/La fille de Nathalie

1988 – 45 tours SP : L’important, c’est la rose/Nathalie [Belgique]

Sources

  • ZEITOUN, F. Toutes les chansons ont une histoire : Petite chronique des tubes de l’avant-guerre à nos jours. Paris : Éditions Ramsay, 2000, p. 49-52.
  • L’ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 18 mai 2014.
  • LE FIGARO [http://www.lefigaro.fr/musique/2011/08/02/03006-20110802ARTFIG00333–nathalie-de-gilbert-becaud.php] Consulté le 18 mai 2014.