Une poésie du catch – La fleur bleue contondante

Un an après son cameo dans le film de François Truffaut Tirez sur le pianiste, Boby Lapointe profite de sa nouvelle notoriété pour sortir un 45 tours; il fait même ajouter goguenard « Le chanteur sous-titré », puisque Truffaut voulait s’assurer que le public comprendrait tous les jeux de mots de sa superbe Framboise. Parmi les pistes gravées sur le disque, on retrouve La fleur bleue contondante, une chanson au sujet d’un lutteur s’adonnant à la « poésie cruelle », c’est-à-dire violente et percutante, comme s’il s’agissait d’un combat dans un ring. Découvert par un éditeur, l’athlète devient soudainement une star littéraire et met de côté sa carrière dans la lutte pour se consacrer uniquement à sa vocation de poète; malheureusement, ne trouvant plus l’inspiration nécessaire pour écrire des vers sanglants – au grand dam de son imprésario – il n’est désormais rien de plus qu’un auteur « à la fleur pédante qui n’est plus contondante ». S’étant ainsi éloigné du chemin qui l’avait rendu célèbre, le catcheur retourne à ses premières amours… et se marie par la même occasion !

Boby Lapointe – La fleur bleue contondante

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Boby Lapointe a peut-être été inspiré par un véritable lutteur français. En effet, Maurice Tillet – mieux connu aux États-Unis sous le sobriquet « The French Angel » – a été un catcheur assez connu dans les années 40. Né au début du siècle dernier en Russie, ses parents déménagèrent en France pendant la révolution bolchévique et s’installèrent à Reims. Souffrant d’acromégalie à l’âge adulte, Tillet a dû abandonner ses rêves de carrière d’avocat (à cause de sa voix rauque) et se résigna à devenir un lutteur à cause de son physique; sa tête, ses mains et ses pieds étaient énormes à cause de sa glande pituitaire. Une fois lancé dans l’arène, l’Ange Français marqua les esprits et remporta le prestigieux titre de l’AWA (American Wrestling Association) à deux reprises.

Maurice Tillet, malgré un physique ingrat, aurait été polyglotte et féru de littérature et de poésie, ses auteurs préférés se nommant Paul Bourget, Marcel Proust ou Alexandre Dumas selon les sources. Et d’après une rumeur persistante, le catcheur aurait écrit ses propres vers. C’est peut-être cette association entre la lutte et la poésie – a priori aux antipodes – qui a fait germer l’idée dans la tête de Lapointe d’une fleur bleue contondante…

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Paroles

Boby Lapointe – La fleur bleue contondante

Sources

Un instrument au nom curieux – L’Hélicon en chansons

Instrument de la famille des tubas, l’hélicon a une histoire un peu difficile à retracer vu qu’il n’a pas connu une très grande popularité. Il aurait été créé en Russie vers l’an 1845 et aurait été produit par le Viennois Ignaz Stowasser afin d’être utilisé lors de fanfares. Près de cinquante après avoir été conçu, un hélicon aurait été modifié en 1893 par J. W. Pepper, un créateur d’instruments de musique de Philadelphie, afin de combler le chef d’orchestre spécialisé dans les marches militaires John Philip Sousa. En effet, ce dernier trouvait que l’hélicon sonnait beaucoup trop fort, et c’est ainsi que serait né le sousaphone, nommé en son honneur.

Son nom provient du grec ancien, ἕλιξ, qui signifie « spirale » car il s’enroulait autour de la personne qui en jouait, rappelant certainement aux hellénistes le massif montagneux de Grèce. Mais, en français, le mot « hélicon » peut évoquer un autre terme, moins musical celui-là… C’est justement de cette façon que le magicien des calembours Boby Lapointe l’employa dans sa chanson L’hélicon, sortie en 1963. Dans cette dernière, il raconte l’histoire d’un forain désirant à tout prix jouer de l’instrument et se trouvant en conflit avec ses parents; ceux-ci lui proposeront de jouer avec la femme tronc, l’homme serpent et son ami Élie… mais rien n’y fait. Et, puisqu’il s’agit d’une goualante du Piscénois, il en profite pour glisser quelques jeux de mots « musicaux » de son cru: la femme tronc pète (trompette), la femme tronc bonne (trombone), jouer au boa (hautbois) et l’ami Élie… qui n’est pas très intelligent (hélicon) !   

Boby Lapointe – L’hélicon

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En 1975, l’éternel comique des Grosses Têtes Sim sortira un 45 tours dont la face A contiendra une chanson sur l’hélicon. Composée par Michel Quidam, la pièce légère et comique accumule les sonorités en -con et en -pon, en misant sur les à-peu-près auditifs. Qui aurait pu croire qu’un instrument inspirât autant par le son… de son nom !

Sim – Je joue de l’hélicon

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Paroles

Boby Lapointe – L’hélicon

Sim – Je joue de l’hélicon

Sources

  • PAGLIARO, M. J. Basic Elements of Music: A Primer for Musicians, Music Teachers, and Students. Rowman & Littlefield, 2016, p. 75.
  • ROHNER. T. The Instrumentalist, Volume 61. Université de Virginie, 2010, p. 45.

Un goût de Framboise – Le succès de Boby Lapointe

Robert Lapointe, dit amicalement Boby, a partagé beaucoup de traits communs avec Georges Brassens. Outre le fait qu’ils étaient tous deux originaires de l’Hérault dans le Languedoc-Roussillon (Brassens de Sète, Lapointe de Pézenas) et nés à une année d’intervalle, de même qu’amateurs de pipe et anciens travailleurs du STO, Brassens et Lapointe étaient de méticuleux chansonniers. Si le Sétois prône une philosophie anarchiste et une saveur bien méridionale dans ses goualantes, le Piscénois quant à lui s’amourache plutôt des calembours en tout genre.

Après de modestes débuts dans les cabarets, Lapointe se fait remarquer au Cheval d’Or par nul autre que François Truffaut. Ce dernier, amusé par la prestation de Boby, lui offre de chanter une chanson dans son prochain film Tirez sur le pianiste, avec Charles Aznavour.

La goualante choisie est Framboise, probablement la plus emblématique de Boby Lapointe. Une jeune femme s’appelant Françoise, surnommée Framboise, travaille comme serveuse dans un bled du Maine-et-Loire. Le narrateur, déjà entichée d’elle malgré le fait qu’elle soit Antibaise, ne pourra retenir ses ardeurs après l’augmentation mammaire de la demoiselle… Et, la poursuivant à travers les champs il s’arrêtera sec, ne voulant pas attraper une Ang(ev)ine de poitrine ! Le refrain « Avanie et Framboise, sont les mamelles du destin » contient non seulement un jeu de mots (vanille et framboise), mais c’est également une référence à une citation de Sully : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France« .

Boby Lapointe – Framboise

Ponctuée donc d’une multitude d’allusions et de jeux de mots, la chanson est débitée à une rapidité si intense que Pierre Braunberger craint que le public ne puisse bien suivre. Il demande donc à Truffaut de couper la scène ou bien de la sous-titrer. Ne désirant pas se passer de la prestation, Truffaut accepte l’idée du sous-titrage… Le film permettra une exposition médiatique au chanteur piscénois, et Aznavour lui demandera de faire sa première partie à l’Alhambra… 

Clin d’oeil

La Grande Sophie fera une allusion à la célèbre chanson dans son morceau Je m’appelle Françoise, où elle met en garde quiconque l’appellerait Framboise car cela causerait sa fuite, sine qua non. Voici la chanson interprétée par les Françoises au Printemps de Bourges.

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Paroles

Boby Lapointe – Framboise

La Grande Sophie – Je m’appelle Françoise

Discographie

1960 – 45 tours EP : Aragon et Castille/Framboise/Marcelle/Insomnie/Le poisson fa

Sources

  • TOUBIANA, S. et de BAECQUE, A. Truffaut [trad. C. Temerson]. Berkeley; Los Angeles : University of California Press, 2000, p. 157.

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création de Fir0002/Flagstaffotos.