Au rythme du carnaval – Rio de Janeiro dans la chanson française, première partie

Crédit photo: César Armindo Pereira Torres

Pays du fútbol aux mille couleurs éblouissantes et bariolées, Rio de Janeiro est une ville emblématique du Brésil, mélangeant à la fois la culture portugaise, africaine et indigène; son carnaval annuel attire un bon nombre de touristes chaque année, tous souhaitant vivre quelques instants au rythme effréné de la musique brésilienne. Véritable capitale culturelle, Rio a longtemps fasciné les artistes, tout particulièrement dans le domaine de la chanson, au point de disséminer dans l’imaginaire un nombre impressionnant de clichés; si la presse brésilienne dénoncera les textes des sambas composées en France, elle se référait en fait aux paroles portugaises et non françaises que le quotidien O Globo considéraient… parfaites ! Évidemment, dans les années 50, ce qui compte avant tout c’est que les chansons fassent danser, peu importe si les paroles étaient bien traduites ou pas du tout; les compositeurs brésiliens avaient par contre une opinion contraire, estimant que la popularité du genre serait plus acceptée grâce justement à la traduction.

La première goualante que nous avons choisi date de 1952, et elle a été écrite et chantée par le fou chantant lui-même, Charles Trenet. Si la chanson évoque bien Rio de Janeiro, quoique de façon très superficielle et laconique, le style est cependant très loin des rythmes associés à cette ville. En effet, au lieu d’une samba, la pièce évoque plutôt le genre de musique d’opérette. Elle sera reprise un peu plus tard par Jacqueline François et par … 

Charles Trenet – Printemps à Rio

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… Dario Moreno, ce dernier connu pour ses goualantes souvent exotiques et en langues étrangères (comme le turc, l’espagnol et le portugais). Une des chansons marquantes que Moreno enregistrera sera justement une pièce évoquant Rio de Janeiro, intitulée Si tu vas à Rio. Il s’agit en fait d’une adaptation d’une composition brésilienne de Julio Monteiro et Carvalhinho, Madureira Chorou (Madureira a pleuré). Si le titre peut paraître un peu bizarre à première vue, il faut se remettre dans le contexte de la création originale. En 1957, Rio toute entière pleure Zaquia Jorge, trouvée morte sur la plage de Barra da Tijuca à l’âge de 33 ans; cette artiste avait installé depuis cinq ans son théâtre à Madureira, un quartier populaire et très animé de Rio, apportant à sa population miséreuse un divertissement si nécessaire pour pallier aux tracas de la vie de tous les jours. Elle avait fait un pari risqué et avait un peu sacrifié sa propre carrière pour les habitants de Madureira; ceux-ci viendront par milliers la pleurer lors de son enterrement. Le deuil se fera peu à peu, tandis que la chanson deviendra un des morceaux les plus prisés au Brésil, étant même chantée sourire aux lèvres…

L’année suivante, l’adaptation française se retrouvera dans les bacs et sera un véritable hit. Dans cette version écrite par le parolier Jean Broussolle, Dario mentionne justement Madureira, en y soulignant l’importance qu’occupe ce quartier lors du Carnaval annuel. Il y a également une référence aux Cariocas, le gentilé des habitants de Rio de Janeiro, qui provient en fait du tupi, une langue autochtone brésilienne, et qui signifie « maison des hommes blancs » (en tupi, Kara’iwa Oka). La chanson sera tellement populaire qu’elle sera reprise par bon nombre d’artistes, dont les Compagnons de la Chanson, Carlos, Lucien Jeunesse et même Rika Zaraï. 

Dario Moreno – Si tu vas à Rio

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En 1966, le chanteur Sacha Distel sortira un 45 tours avec une chanson qui deviendra rapidement un des classiques de son répertoire. Sur une musique composée par Gérard Gustin et des paroles écrites par Maurice Tézé, Incendie à Rio possède un rythme contagieux, rappelant les danses brésiliennes les plus envoûtantes. Le ton de la chanson est plutôt cocasse, puisque celle-ci met en scène un incendie ravageant Rio de Janeiro… et des pompiers incompétents, cherchant les énigmatiques tuyaux, illustrant une insouciance, probablement imaginée, de la ville carioque. Et, une fois trouvés, c’est l’automobile qui est en panne !

Sacha Distel – Incendie à Rio

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Paroles

Sacha Distel – Incendie à Rio

Dario Moreno – Si tu vas à Rio

Charles Trenet – Printemps à Rio

Sources

  • DELFINO, J. P. Couleurs Brasil: Petites et grandes histoires de la musique brésilienne. Le Passage Paris-New York Éditions, 2014. 
  • FLÉCHET, A. « Si tu vas à Rio… »: La musique populaire brésilienne en France au XXe siècle. Paris: Armand Colin Éditeur, 2013.

 

Trenet, vu par Cabu

Suite aux tristes évènements du 7 janvier 2015, je me suis demandé au cours des derniers jours ce que je pouvais rédiger comme article pour honorer les victimes de Charlie Hebdo. Bien que passionné de bande dessinée, j’ai créé ce blogue pour avant tout diffuser la petite histoire de la chanson française et je tenais à ce que sa mission première soit conservée.

Après quelques recherches, il s’avère que Cabu était un mordu de Charles Trenet, allant même jusqu’à chanter sur scène La tarentelle de Caruso, vibrant clin d’oeil au grand ténor napolitain Enrico Caruso ! Évidemment, comme caricaturiste, Cabu ne tarda pas à croquer l’auteur de Ménilmontant, comme le dessin à gauche nous permet de constater. On y remarque le fou chantant qui tend la main à la prosopopée de la chanson française, en train de se noyer semble-t-il dans la Seine. Il faut dire qu’à l’heure des années folles, la chanson réaliste – représentée par les quelques partitions de mélopées déprimantes comme Je hais les dimanches (Piaf) ou Sombre jeudi (une référence à Sombre dimanche, de Damia) – était plutôt langoureuse et démoralisante. Trenet, par ses airs guillerets et ses paroles joyeuses et insouciantes, a su insuffler une certaine gaieté et joie de vivre. Essayons de retrouver, malgré les tristes évènements qui ont secoué la France, cette bonne humeur en compagnie de Cabu, qui ne l’aurait pas voulu autrement.

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Paroles

Charles Trenet – La tarentelle de Caruso

Liens utiles

Pour de l’information sur Enrico Caruso, cliquez sur ce lien pour une biographie, en anglais. 

Remerciements

Grand merci aux utilisateurs GERALD PLUSQUELLEC pour le vidéo de Cabu, et LE LOUP DE L’ÎLE AUX MARINS DE SPM pour celui de Trenet.

Une chanson qui fait Boum!

Pendant les années folles et l’entre deux guerres, Charles Trenet est sans contredit une star établie de la chanson française. Après une fructueuse collaboration avec son comparse Johnny Hess, le fou chantant décide de faire cavalier seul. Et, en cette année de 1938, Trenet est en pleine forme ; il enregistre deux de ses plus grands succès, Ménilmontant et Boum! Cette dernière chanson, parsemée d’onomatopées comme son titre le suggère, est avant tout celle d’un amour qui rend la vie plus agréable… Mélopée légère, texte guilleret, Boum! fait partie des pièces célébrant la joie de vivre – fait ironique puisqu’elle ne précédera la Deuxième Guerre Mondiale que d’un an, où les « boums » seront d’une nature tout autre. Trenet remportera d’ailleurs le grand prix du disque « candide » pour sa chanson onomatopéante.

Clin d’oeil

Alors en pleine guerre, le ministère  du Troisième Reich ne détourne pas seulement les informations à des fins défaitistes – des chansons populaires en font également les frais. Charlie and his orchestra interprèteront ainsi de nombreux morceaux – dont les originaux sont interdits d’écoute en Allemagne – dont évidemment Boum! à une nouvelle sauce. Dans cette version, intitulée Bom, mentionne au passage un Étasunien dont le sous-marin a des ratés car il y a des boums !

Charlie and his orchestra – Bom

Mais, fort heureusement, il n’y aura pas seulement un détournement nazi de la chanson : Hergé, le célèbre dessinateur, paraphrasera également la chanson dans un des albums de Tintin. Eh oui, dans l’album Tintin au pays de l’or noir – dont les premières esquisses auront lieu en 1939 dans le Petit Vingtième – les Dupondt entonnent l’air célèbre à cause d’une publicité pour les dépanneuses Simoun.

Reprise

Au début des années 60, le groupe de rock The Shadows et leur frontman, Cliff Richard, enregistrent plusieurs goualantes en français – étrange tout de même pour des musiciens anglais, il faut le dire ! Parmi les quatre morceaux interprétés se trouve évidemment Boum!, qui revêtira à l’occasion une tenue plutôt rock’n’roll.

Ignorée du public francophone (et anglophone), la nouvelle Boum! échouera une dizaine d’années plus tard sur un LP belge et ne refera surface qu’une dernière fois, sur une compilation de chansons en « langue étrangère » interprétée par le fameux Cliff : On the Continent.

Cliff Richard – Boum!

Il existe des versions instrumentales aussi, comme celles du Heinz Huppertz Tanzorchester (1939), d’Hector Delfosse ou encore de Georges Arvanitas (1958), Guy Boyer et son quartette (1957) et André Reweliotty. Des chanteurs solos entonneront la ritournelle, tel Jacques Hélian (1964). Enfin, des groupes passeront la pièce sous le graveur, comme Michel Villers et Jean-Pierre Sasson (1957), Les Ventura (1962), et Taxi bleu fera un mash-up avec deux autres chansons du fou chantant (1977).

Heinz Huppertz Tanzorchester – Boum!

Taxi bleu – La mer/Douce France/Boum!

Plus récemment encore, la goualante a été utilisée pour la bande sonore du dernier James Bond au moment où ses lignes sont écrites, Skyfall. Alors que l’agent du MI6 est enlevé et amené (de force) sur l’île du méchant de service, Tiago Rodriguez, la chanson peut être entendue un bref instant sur des enceintes de pacotille. Vu par des millions de spectateurs, le film causera peut-être un nouveau boum pour la popularité de Trenet…

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Paroles

Charles Trenet – Boum!

Discographie

1956 – 45 tours EP : Je chante/ Y’a d’la joie/ Boum!/ Fleur bleue 

Sources

  • DICALE, B. Miscellanées de la chanson française. Paris : Fetjaine, 2009, p. 59-60.
  • HERGÉ. Tintin au pays de l’or noir. Tournai : Casterman, 1981, p. 1.
  • RUST, V. The Cliff Richard Recording Catalogue 1958-2010. Sine loco : Éd. Lulu.com, 2010, p. 58.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 3 juillet 2014.

Remerciements

  • Les utilisateurs de Youtube ANDREW OLDHAM, LEOTAURUS1975 et IAMJEFF78000, auxquels les chansons ci-dessus ont été empruntées.