Un des grands succès de Félix Mayol – Viens Poupoule

Natif de Toulon, Félix Mayol connaît des débuts modestes dans sa ville natale et Marseille, avant d’être engagé à Paris en 1895, à l’âge de 23 ans. Son premier grand succès est une chanson de Théodore Botrel, La Paimpolaise, qu’il interprète en 1896. Quelques années plus tard, l’homme à la houpette est dorénavant une des vedettes de la Scala lorsqu’un soir, il entend une mélodie alors qu’il est dans les coulisses. Il s’agit de Kom Karolin, une polka composée par Adolf Spahn, qui accompagne une danseuse sur scène. Mayol, flairant une bonne affaire, s’empresse d’acquérir les droits et demande à son compère Henri Christiné de la traduire. Mais « Viens Caroline » n’a pas le cachet espéré et les deux hommes chercheront pendant des semaines un prénom féminin qui saura être plus euphonique (Lisette, Ninette, Amélie, Virginie), mais rien n’y fait. C’est alors qu’un jour, dans les mêmes coulisses de la Scala, ils entendent un ouvrier crier à sa femme: « Allons, viens Poupoule. Viens ! »

Félix Mayol – Viens Poupoule

La chanson sera un des plus grands succès de l’époque; pendant la Première Guerre mondiale, certains rapportent que les soldats français et allemands se répondaient d’une tranchée à l’autre en chantant le célèbre refrain de la goualante. Parmi les hommages, notons cette pièce de Jacques Brel, Les Bigotes, où le chanteur belge emploie une des strophes de Viens Poupoule (à 1:25).

Jacques Brel – Les Bigotes

***

Paroles

Jacques Brel – Les Bigotes

Félix Mayol – Viens Poupoule

Sources

Droits d’auteur

  • La photo de couverture, ainsi que celle utilisée en mortaise dans cet article, sont des créations d’Adrien Barrère, et sont dans le domaine public.

Une chanson qui dégrise – À jeun de Jacques Brel

En 1967, Jacques Brel sort un 33 tours intitulé tout simplement Jacques Brel 67 sur lequel il collabore particulièrement avec Gérard Jouannest; cet album est le premier à ne contenir que des chansons originales, sans être une compilation de 45 tours. Parmi les pièces dudit album, il se trouve À jeun, une pièce au titre ironique puisqu’elle met en scène un personnage ivre car il vient d’apprendre aux funérailles de sa femme Huguette qu’elle le trompait… avec son patron, André Dupneu ! D’ailleurs, un manuscrit nous apprend que le grand Jacques avait hésité entre « parfaitement à jeun » et « parfaitement poivré », un terme qui rappelle le mot « poivrot » employé dans sa pièce Jef

Crédit: Archive Bobbejaan Schoepen

Pourquoi Brel a-t-il recouru à ce subterfuge cocasse dès le départ ? Le ton donné ne relève pas seulement d’un humour narquois (le narrateur se dit à jeun, mais il ne l’est pas en réalité), mais révèle aussi l’esprit kafkaïen de la chanson. En effet, À jeun représente l’absurdité dans laquelle se trouve pris le protagoniste qui, outre la situation de départ énumérée ci-dessus, doit choisir dans son drame cornélien l’une des deux issues suivantes: frapper son ami André qui l’a cocufié, ou bien « gnougnougnafier » sa femme à son tour, par vengeance… Si le terme n’existe pas en français, on devine qu’il exprime faire des avances, et il rappelle le vocable peu usité « gougnafier », ce qui signifie être un bon à rien (peut-être Brel voulait souligner la personnalité de son pauvre cocu).

Enfin, il faut aussi remarquer que son ami André est chef du contentieux, c’est-à-dire qu’il dirige le service d’une entreprise chargé de résoudre les différends… comme celui que la narrateur a désormais avec son patron. Décidément, À jeun est une chanson conflictuelle à tous les points ! Nous pourrions conclure en déclarant que le protagoniste qu’incarne Brel est en train de dégriser, c’est-à-dire qu’il commence à faire cesser son ivresse, mais aussi qu’il perd ses illusions…

Jacques Brel – À jeun

Et il y a bien entendu le petit clin d’oeil à 1:57 que Brel fait à la chanson culte Mirza de Nino Ferrer !

***

Paroles

Jacques Brel – À jeun

Sources

Alleï, alleï, ça te dit un tango belge, une fois?

En août 2015, j’étais allé rejoindre une amie en Allemagne et nous avons visité les villes d’Heidelberg et de Francfort, avant de se rendre aux Pays-Bas. Après Rotterdam, nous nous sommes séparés et je me suis rendu seul au plat pays. Le premier soir, alors que je marchais dans le parc de Bruxelles, j’ai entendu une musique envoûtante provenant d’un kiosque… C’était une milonga en plein air, avec un disc-jockey écumant les grands classiques argentins. J’étais surpris de voir autant de gens danser le tango – que je pratiquais depuis 7 ans – en Belgique! Même sans mes souliers de danse, je me suis joint aux tangueros, et ce fut une soirée fort amusante dans la capitale belge. Et, pour me rappeler ces agréables souvenirs, voici un petit billet sur ce mélange de cultures entre le Rio de Plata et la vallée de la Senne! 

***

Né à Tarbes en 1919, Henri Génès a fait carrière avant tout comme acteur, apparaissant dans une cinquantaine de film français entre 1945 et 1993. Mais il s’est également distingué comme chanteur, avec un répertoire résolument fantaisiste et comique. En 1962, il enregistre Le tango bruxellois, où il délaisse son accent du midi afin d’imiter celui de Bruxelles, tout en parsemant la chanson de termes associés au parler des Belges (une fois, sais-tu, alleï alleï, ça est). Et, juste avant de commencer la goualante, Génès affirme que ce n’est pas La tantina de Burgos, un tango… qu’il a lui-même écrit et interprété avec un accent espagnol! Fait à noter, l’interprète tarbais mentionne au passage la ville de Schaerbeek, lieu de naissance d’un célèbre chanteur belge… 

Henri Génès – Le tango bruxellois

***

Crédit photo: Joop van Bilsen

… qui se nomme (évidemment) Jacques Brel. Tout au long de sa prolifique carrière, le grand Jacques aura chanté les Belges sous toutes leurs coutures; il n’y a qu’à écouter Bruxelles, Le Plat Pays, Les Flamandes, Les Bonbons 67 ou Les F… pour découvrir comment il posait un regard poétique (et parfois politique) sur sa Belgique natale. Dans son morceau Knokke-le-zoute tango, il met en scène un homme désirant des aventures avec des filles de joie de cultures hispaniques avant de s’apercevoir tristement que la réalité est tout autre, assez kafkaïenne, puisqu’il est seul, à Knokke, sans accès à ses belles qu’il s’imaginait; puis, il se redresse, prend de l’assurance, et déclame encore une fois ces aventures rêvées. Il faut dire que le choix de musique est adéquat pour ces paroles, puisque le tango est né dans les bordels de Buenos Aires, entre les bras de prostituées bien réelles, celles-là! 

Jacques Brel – Knokke-le-Zoute Tango

***

Enfin, pour terminer ce tour de chansons, il semblait convenu qu’il y en ait une en wallon – langue cousine du français parlé en Belgique – pour un vrai tango belge! Le chanteur du Tango wallon n’est autre que Bob Dechamps, bien connu pour sa défense de la langue wallonne et le nombre de sketchs et de goualantes qu’il a interprétés dans ce dialecte. Pour mémoire, il y a deux autres pièces intitulées Le tango bruxellois et Le tango wallon, chantées toutes deux en français par Mady Lassaux, disponible sur bide et musique. Il faut croire que, contrairement à des contrées plus montagneuses, le plat pays était plus adéquat pour danser le tango! 

Bob Dechamps – Tango wallon

Paroles

Jacques Brel – Knokke-le-zoute tango

Bob Dechamps – Tango wallon

Henri Génès – Le tango bruxellois

Droits d’auteurs

  • Voici les crédits complets de la photo de Jacques Brel: Joop van Bilsen, Nationaal Archief, Den Haag, Rijksfotoarchief: Fotocollectie Algemeen Nederlands Fotopersbureau (ANEFO), 1945-1989 – negatiefstroken zwart/wit, nummer toegang 2.24.01.05, bestanddeelnummer 914-8398.

Remerciements

J’aimerais remercier JEAN-LUC LOPEZ d’avoir donné son accord afin que je puisse utiliser son « Tango enflammé ». Vous pouvez consulter ses autres oeuvres ici.

 

Brel et La valse à mille temps

La genèse de la chanson La valse à mille temps a eu lieu au premier étage de l’immeuble dit « des Brel » à Bruxelles, en 1958. À cette époque, Jacques et Miche recevaient les mardis la chorale l’Entonnoir, dont était membre leur gouvernante; puisque cette dernière devait s’occuper de leurs enfants, il lui arrivait de rater les réunions de ladite troupe. Qu’à cela ne tienne, le grand Jacques avait décidé que l’Entonnoir tiendrait désormais ses sessions chez lui. Et c’est lors des répétitions de cette troupe qu’il chantait à la guitare un morceau qu’il avait composé mais pas encore enregistré. Celle-ci lui avait été inspirée lors d’un voyage de vacances au Maroc, lors d’un trajet sur une route sinueuse et infinie à Casablanca… Comme quoi tout peut inspirer un chanteur, même les délais routiers!

Toujours en 1958, il se produit en spectacle à Scheveningen, aux Pays-Bas, et la crée devant un public néerlandais, qui n’avait peut-être pas tout à fait compris la complexité de cette goualante. À l’Exposition universelle, qui se déroule la même année à Bruxelles, Brel chantera trois morceaux dans le village dit « La Belgique Joyeuse », dont évidemment La valse à mille temps. C’est en septembre 1959 qu’il passera en studio afin de la graver sur disque; on peut dire qu’il y a mis le temps…

La chanson est en elle-même un témoignage de la passion de Brel pour le jeu des sonorités. Remarquons au passage que si la valse traditionnelle repose sur trois temps, le grand Jacques ose en créer quelques unes, fictives, bien plus longues… Pourquoi? Tout simplement pour les calembours (Ah, ces Belges!) que cela lui permet de faire. Pour Przybylski, il s’agit là d’un défi qu’il s’était lancé lui-même lorsqu’il avait entendu parler d’un groupe s’appelant Les Trois Milson (lire les trois mille sons). Et voyons ce que cela a donné:

Une valse à cent temps/Une valse à cent ans/Une valse ça s’entend
Une valse à mille temps/Une valse à mille temps/Une valse a mis le temps 

***

Clin d’oeil

En 1961, l’acteur Jean Poiret décide d’écrire et de chanter une parodie intitulée La vache à mille francs; il y parle entre autres de l’augmentation du prix de la viande en France, surtout à Paris, en dénonçant les mesure du gouvernement. Les temps qui se succèdent sont en fait les étapes de la vie d’une vache, du pré à l’assiette, en passant par l’abattoir…

Jean Poiret – La vache à mille francs

La même année, lors de son passage à l’Olympia, Brel semble faire une référence à cette parodie lorsqu’il chante La valse à mille temps. En effet, au début du deuxième couplet (vers 1:20), il commence de façon assez amusante « Au deuxième temps de la vache/On est deux, elle est dans mes bras ». On peut d’ailleurs entendre le public, qui a certainement compris la référence, applaudir chaudement l’allusion.

Jacques Brel – La valse à mille temps (à l’Olympia) 

***

Paroles

Jacques Brel – La valse à mille temps
Jacques Brel – La valse à mille temps (à l’Olympia)

Jean Poiret – La vache à mille francs

Sources

  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 20 mai 2016.
  • PRZYBYLSKI, E. Brel, la valse à mille rêves: biographie. Sine loco: Archipel, 2008.

Bruxelles, toujours belle

Le matin du 22 mars 2016, Bruxelles s’activait comme à son habitude. Fière capitale de l’Europe, des moules frites et de la bande dessinée, elle voyait son lot de voyageurs transiter par son aéroport de Zaventem, ses gares de train et de métro. J’avais moi-même marché dans les rues de la Madeleine et de Belliard, je m’étais arrêté à la Grand-Place (où l’on ne jouait pas Mozart), j’avais goûté à une mitraillette belge, dégusté une gaufre nappée de caramel. Fan de Tintin et Spirou depuis ma tendre enfance, j’ai écumé le musée d’Hergé et celui de la bd pour retrouver mon coeur d’enfant. Et puis, c’est arrivé. Un autre attentat après Charlie Hebdo et le Bataclan en France, sanglant et meurtrier, sans raison ni pitié, de la même main décharnée qui égorge au Nigéria, qui brûle en Irak et qui éclate en Turquie…

Après les larmes versées et les morts commémorés, Bruxelles commence à revivre, ses plaies encore vives cicatrisent peu à peu. Toujours dans nos pensées, laissons-nous quelques instants nous faire bercer par quelques chansons qui rappellent des jours plus heureux.

***

En 1962, Jacques Brel s’inspirera de la ville de Bruxelles pour créer une chanson éponyme sur son album Les Bourgeois. Le chanteur belge s’y amusera à raconter la vie imaginaire de ses grands-parents dans la capitale belge au début du siècle; son grand-père anticipe la Grande Guerre, pendant laquelle la Belgique deviendra la cause célèbre de l’Angleterre sous le nom de « The Rape of Belgium », pendant que sa grand-mère attend la naissance de son père. Ce dernier fait est peu probable si l’on considère que le père de Brel, Romain, est né en 1883…

Dans ce même Bruxelles, Brel se plaît à décrire la population (« des femmes en crinoline » et « des messieurs en gibus »), ainsi qu’à faire des allusions pseudo-historiques. S’il y a effectivement une place de Brouckère et une place Sainte-Catherine, il n’y avait pas de place Sainte-Justine jusqu’à récemment. En effet, France Brel a réussi à convaincre le ministre Gosuin afin qu’il y ait une place qui porte ce nom. De plus, les omnibus ne se rendaient pas jusqu’à la place Sainte-Catherine, car celle-ci servait de bassin au port de Bruxelles. Enfin, le grand Jacques invente le néologisme « bruxeller », dont la signification reste encore à déterminer. Pour les uns, cela représente Bruxelles, insouciante et en plein essor; pour les autres, c’est le fait de parler en brusseleer, le dialecte propre à la capitale. 

***

De son vrai nom Benedictus Albertus Annegarn, Dick est né aux Pays-Bas avant que ses parents ne déménagent en Belgique alors qu’il n’a que six ans. Passionné par la musique et autodidacte, il monte à Paris en 1972 alors qu’il n’a que vingt ans. Bientôt, il sort un 33 tours intitulé Sacré Géranium, dont une des pistes n’est autre que Bruxelles. Mêlant assonances et quelques références à la capitale belge sur un fond de piano mélancolique, ce titre devient rapidement le plus connu et repris de sa carrière. Peu après les attentats, la chanson a connu un regain de popularité comme l’un des symboles de la ville belge par l’entremise de Twitter, avec l’hashtag #BruxellesmaBelle. Pour mémoire, mentionnons qu’Alain Bashung a également repris la goualante.

Alain Bashung – Bruxelles

Dick Annegarn – Bruxelles

***

Plus près de nous, la jeune Marie Warnant composera aussi une pièce en hommage à Bruxelles. Née à Namur en 1979, l’auteure/compositrice/interprète belge se fera connaître premièrement en tant que chanteuse du groupe BaliMurphy, avant d’entamer une carrière solo en 2002. C’est trois plus tard, en collaboration avec Vincent Liben, qu’elle sortira son premier disque De un à dix; c’est sur ce même opus que se trouve l’éponyme Bruxelles. Ponctuée d’un battement régulier assez ressenti, la chanson dégage un ton faussement mélancolique; si Warnant accuse sa ville d’être banale, c’est pour mieux prouver qu’elle ne l’est point. Elle parsème sa goualante de références à Bruxelles, en les entremêlant de culture française: si Molière prend Saint-Gilles de haut, Édith chante le boulevard Anspach. D’ailleurs, la jeune artiste semble faire un clin d’oeil aux deux précédents chanteurs: « En capitale, quand elle se cambre devant moi/Ma Belle aux bois » rappelant la première ligne de la pièce d’Annegarn, et surtout « Quand les marquises voient le Châtelain/C’est le Grand Jacques qui prend le train », hommage à Brel et aux îles qu’il a rendu célèbres.

Marie Warnant – Bruxelles

***

Le 26 mars, le vieux crooner Johnny Hallyday a chanté Quand on n’a que l’amour pour clore un concert à Bruxelles; la jeune et très prometteuse Léa a entonné une création originale, Il nous reste l’espoir, qui a touché de nombreux internautes. Partout, par l’entremise des médias sociaux, on honore et célèbre la capitale du plat pays, qui est un peu la nôtre désormais.

Paroles

Dick Annegarn – Bruxelles

Alain Bashung – Bruxelles

Jacques Brel – Bruxelles

Marie Warnant – Bruxelles

Sources