Je cherche après Titine… et je l’ai trouvée!

En 1917, la Grande Guerre rage en Europe et la France est en première ligne. Mais qui dit conflit, ne dit pas forcément la fin de la vie mondaine. Un trio de paroliers – Marcel Bertal, Louis Maubon et Henri Lemonnier – de même que le compositeur Léo Daniderff conjuguent leurs efforts respectifs pour composer une chanson humoristique qui aura un certain succès, Je cherche après Titine. Créé par Gaby Montbreuse, le morceau traite de la recherche inexorable qu’effectue le narrateur pour retrouver Titine qui, malgré des images qui pourraient rappeler une femme – comme un collier – n’est autre qu’une chienne! Près d’une décennie après ce premier succès, le duo Bertal-Maubon et Daniderff récidivent en 1926 avec J’ai retrouvé Titine. Mais, ironie du sort, cette nouvelle mixture est malheureusement aujourd’hui très difficile à trouver… Des deux plus anciennes versions disponibles, il y a celle de Léonce et de Marcelly. Si ce dernier semble chanter les paroles originales, la Titine de Léonce paraît bien plus humaine puisqu’il l’accuse de le faire cocu!

Marcelly – Je cherche après Titine

Léonce – Je cherche après Titine

***

1917, c’est aussi l’année pendant laquelle les États-Unis entrent en guerre aux côtés de la France et de l’Angleterre. Alors qu’ils sont stationnés en France, les soldats de l’oncle Sam entonnent la chanson et elle devient, tout comme Quand Madelon pour les Poilus, leur hymne non-officiel. La goualante restera assez longtemps populaire puisque Charlie Chaplin lui-même l’emploiera sur pellicule dans Les Temps Modernes, un film datant de 1936. Dans une scène plutôt loufoque, Charlot doit interpréter la chanson devant public mais il perd malencontreusement les manches de chemise où sont inscrites les paroles; il improvise donc un mélange d’italien et de français, au grand plaisir des clients qui n’y voient que du feu. 

La chanson ne tombe toutefois pas en désuétude puisque nombre de différents artistes reprendront avec succès la pièce originellement créée par Gaby Montbreuse. En effet, la reprise d’Andrex en 1958 semble insuffler une seconde vie au morceau, repris entre autres par Yves Montand (1959), Anny Flore (1959), Les Célibataires (1964) et Georgette Plana (1971) pour ne nommer que ceux-là. Si la version de Montand est plutôt jazz – il se permet de faire du scat une fois le refrain entonné – Andrex présente une variante où il est évident, à la fin, qu’il s’agit d’un amour de race canine ! 

Yves Montand – Je cherche après Titine

Andrex – Je cherche après Titine

Clin d’oeil

En 1963, le grand Jacques sort la chanson Titine, dans laquelle il rend hommage à la création de Bertal-Maubon-Lemonnier. Dans sa version de la goualante, le chanteur belge court après une Titine bien humaine – et non un chien – qui l’avait quitté des années auparavant pour voir un film… de Charlot, référence évidente à l’utilisation de la chanson par la star des Temps Modernes. Brel se permet même d’en rajouter, en critiquant l’apparence de cette flamme volage en la comparant au personnage de Chaplin: « T’es un peu moins tentante/Puis tu marches comme Chaplin/Puis t’es devenue parlante »!

Jacques Brel – Titine

 

***

Spirou et Fantasio - Je cherche après tétine

Enfin, n’oublions pas de mentionner Franquin, qui en 1967 se permet de détourner la chanson à son tour. Alors que Zorglub a été réduit à l’état mental d’un bambin, le comte de Champignac, ainsi que les intrépides Spirou et Fantasio doivent s’occuper de lui, le nourrir, le bercer et tutti quanti. Et que fredonne le célèbre rouquin en préparant un lait chaud?

Paroles

Andrex – Je cherche après Titine

Jacques Brel – Titine

Léonce – Je cherche après Titine

Marcelly – Je cherche après Titine

Yves Montand – Je cherche après Titine

Sources

  • CALVET, J.-L. Cent ans de chanson française. Paris: L’Archipel, 2008, p. 298.
  • DU TEMPS DES CERISES AUX FEUILLES MORTES [http://dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/50_chansons/27_je_cherche_apres_titine.htm] Consulté le 6 juin 2015.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 11 juin 2015.

Remerciements

Merci aux utilisateurs Youtube GAMBLINGSHIP, AVANTI LAMUSICA, KOSTEPENDRHS et MAX26111000.

Les Marquises – Une fréquentation de Brel et de Gauguin

En 1969, Jacques Brel met un frein à sa carrière de chanteur et décide de partir vers d’autres aventures, cinématographiques entre autres. En compagnie de son amie Maddly Bamy, le chansonnier belge traverse mers et océans pour effectuer le tour du monde sur son voilier, l’Askoy. En novembre 1975, le grand Jacques accoste sur les rives d’Hiva Oa, une île située dans l’archipel des Marquises. Maddly et lui s’établissent à Atuona, le chef-lieu de l’île. Brel s’amourache rapidement des lieux et des habitants et, grâce à son avion baptisé Jojo, il effectue différentes missions humanitaires; le chanteur installe aussi à ses frais un cinéma pour les enfants de l’île et aurait même donné un coup de main lors d’accouchements ! Mais malheureusement pour lui (et pour nous), un cancer lui ronge les poumons et, après un bref passage à Paris où il enregistre dans un dernier souffle ce qui s’avérera être ses dernières chansons, Brel décède en octobre 1978. Son corps sera rapatrié aux Marquises, et il sera enterré au cimetière du Calvaire… à deux pas de Paul Gauguin.

© Rémi Jouan, CC-BY-SA, GNU Free Documentation License, Wikimedia Commons

Le peintre Paul Gauguin s’installa dans l’île à la fin du 19e siècle, où il consacra ses dernières énergies à quelques portraits dépeignant la vie dans l’archipel. Parmi ceux-ci, il y a le tableau Le Cheval Blanc (que l’on peut apercevoir sur le timbre, un peu plus haut), créé en 1898 lors du deuxième séjour du peintre à Tahiti. Cette peinture semble avoir inspiré Brel, puisque dans sa chanson sur les Marquises qu’il venait de quitter, il ajoute :

La pluie est traversière
Elle bat de grain en grain
Quelques vieux chevaux blancs
Qui fredonnent Gauguin
Et par manque de brise
Le temps s’immobilise
Aux Marquises

Jacques Brel – Les Marquises


Hommage

La grande Barbara, qui avait côtoyé Brel sur la scène des cabarets de Paris, composera une pièce en hommage à son ami disparu. Au début des années 90, elle enregistre Gauguin (Lettre à J. Brel) dans laquelle la chanteuse évoque, avec émotion, le grand vide causé par la disparition du grand Jacques. Composant à l’aide d’une palette de couleurs variées un tableau à la Gauguin, Barbara signera à la fin de la goualante par le prénom « Léonie », le personnage qu’elle avait joué dans le film Franz, écrit par ce même Jacques Brel quelque dix-huit années plus tôt…

Barbara – Lettre à Gauguin

***

Paroles

Jacques Brel – Les Marquises

Barbara – Gauguin (Lettre à J. Brel)

Discographie

Pour Jacques Brel

1977 – 33 tours LP : Jaurès/La ville s’endormait/Vieillir/Le bon Dieu/Les F…/Orly/Les remparts de Varsovie/Voir un ami pleurer/Knokke-le-Zoute tango/Jojo/Le Lion/Les Marquises

1977 – 45 tours SP : Les F…/Les Marquises

Pour Barbara

1990 – 45 tours SP : Gauguin/Précy-Jardin

Sources

À la recherche de la toison d’or

En 1962, Jean Serge demande à Jacques Brel de composer une chanson pour le festival Corneille à Barentin, près de Rouen. Ce festival a été créé en 1956 par André Marie, et présentait des pièces autant de Pierre que de Thomas Corneille. Cette année-là, on y présentait la Toison d’or de Pierre Corneille. Brel composera donc « fatalement » un morceau intitulée La Toison d’or et la présentera, alors en plein ébauche, lors d’un interview d’un journal télévisé. Ce sera là la seule référence à ladite chanson pendant de nombreuses années puisque le chanteur du plat pays ne l’inclura pas dans son répertoire.

 Ce ne sera qu’en 1982, lors de la publication de l’intégrale des paroles de Brel que réapparaîtra La Toison d’or, si ce n’est qu’en format papier. Il faudra attendre jusqu’à ce que Universal Music sorte « Suivre l’étoile », l’ultime anthologie de l’oeuvre du grand Jacques pour enfin apprécier l’enregistrement sonore de cette chanson. Tout comme la toison d’or de Jason, il aura fallu du temps et des efforts pour enfin pouvoir poser la main (si ce n’est l’ouïe) sur cette perle rare…

Jacques Brel – La toison d’or

***

 Paroles

Jacques Brel – La Toison d’or

Sources

  • PRZYBYLSKI, E. Jacques Brel : La valse à mille rêves. Paris ; Montréal : L’Archipel, 2008, p. 322.
  • UNIVERSAL MUSIC [http://www.universalmusic.fr/jacques-brel/actu/suivre-l-etoile-la-nouvelle-integrale-jacques-brel/] Consulté le 11 février 2014.

Adieu le Jacques, je t’aimais bien – Le Moribond

En 1961, Jacques Brel composera Le Moribond, une chanson d’un homme qui, sur son lit de mort, fait ses derniers adieux. Parmi les témoins autour du moribond, il y a sa femme, le curé vraisemblablement venu lui faire l’ablution, ainsi que deux amis, Émile et Antoine. Si ce dernier n’est pas dans les bonnes grâces du mourant, c’est parce qu’il l’aurait cocufié et qu’il lui survivra – ce qui sous-entend que l’aventure se poursuivra après l’expiation du moribond…    

Ce thème revient souvent chez le chansonnier belge, de quoi inquiéter même. Des morceaux comme Comment tuer l’amant de sa femme quand on a été élevé comme moi dans la tradition, À jeun, La Fanette ou Les Filles et les chiens présentent un homme tourmenté par le fait que sa femme lui ait été infidèle. Catherine Sauvage et Suzanne Gabriello, d’anciennes flammes, le décrivaient comme un homme très possessif et extrêmement jaloux. Le Moribond ne fait pas exception : dans le brouillon de la chanson, on pouvait lire une première ébauche « Toi qui étais l’amant de ma femme/Tu prendras soin de la Thérèse« . Il s’agirait ici de Thérèse Michielsen, surnommée Miche qui était à l’époque la femme de Brel ! Cependant, Jacques Brel était aussi facétieux et aimait à plaisanter auprès d’amis en clamant en public que tel ami courtisait sa femme… Humour belge ? Allez savoir, une fois !

Quant à l’Émile, il ne s’agit certes pas de l’oeuvre de Jean-Jacques Rousseau ! En effet, plusieurs ont souvent supposé que l’Émile était Émile Le Scanff, un chanteur breton mieux connu sous le sobriquet de Glenmor. Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés et n’ont eu de contact qu’à travers une relation commune, une belge blonde comme les blés nommée Katell.

Reprises

La chanson sera chantée par le groupe rock franc-comtois Ange dans les années 80. Mais la reprise qui fera le plus parler d’elle est celle de Terry Jacks. Le chanteur canadien, qui a découvert la chanson par l’entremise d’une traduction de Rod McKuen, et enregistrée en 1964 par le Kingston Trio. Seasons in the sun se hissera à la première place du palmarès, à la grande surprise de tous – Jacks était un quasi-inconnu à l’époque.

Clin d’oeil

En 1978, Gilbert Bécaud enregistrera une chanson s’intitulant Quand je s’rais plus là, un morceau portant sur un thème sensiblement pareil à Le Moribond – à savoir, un homme qui va bientôt mourir et qui rassure ses proches. Dans un passage, Monsieur 100 000 volts mentionnera brièvement Brel, lui retournant la balle pour Orly l’année précédente : Ces imbéciles d’hirondelles/Vont vous faire du beau temps/C’est pas facile comme dit Brel/De s’en mourir au printemps. Et, puisque le 45 tours a été dans les bacs en juin 1978, il est à se demander si le grand Jacques a pu l’entendre avant de lui-même faire ses adieux en octobre…

Gilbert Bécaud – Quand j’serai plus là

***


Paroles

Jacques Brel – Le Moribond

Gilbert Bécaud – Quand je s’rai plus là

Discographie

Pour Jacques Brel

  • 1961 – 45 tours SP : Le moribond/On n’oublie rien/L’ivrogne
  • 1972 – Ne me quitte pas : Ne me quitte pas/Marieke/On n’oublie rien/Les Flamandes/Les prénoms de  Paris/Quand on n’a que l’amour/Les biches/Le prochain amour/Le moribond/La valse à mille temps/Je ne sais pas
  • 1974 – 45 tours SP : Le moribond/Quand on a que l’amour

Pour Gilbert Bécaud

  • 1978 – 45 tours SP : Un instant d’éternité/Quand je s’rai plus là

Sources

  • BRONSON, F. The Billboard Book of Number 1 Hits: The inside story behind every number one single on billboard’s hot 100 from 1955 to the present. Sine loco : Random House LLC, 2003, p. 358. 
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 26 janvier 2014.
  • PRZYBYLSKI, E. Jacques Brel : La valse à mille rêves. Paris : L’Archipel, 2008, p. 269-270.

Avez-vous vu Mirza ? Oui, elle est au hit-parade !

Nino Ferrer, grand amateur de jazz, débutait dans la chanson en 1959, en tant que contre-bassiste pour les Dixie Cats. Cependant, ce n’est qu’en 1965 qu’il atteindra la notoriété, et cela, d’une façon peu ordinaire. Le musicien d’origine italienne décide de composer un morceau qui va en contre-sens à la vague yé-yé, une chanson sur une chienne dénommée Mirza.Eddy Barclay, alors qu’il se trouvait un soir au Bilboquet, entendit Nino entonner cette chanson fort rigolote. Convaincu, il lui offrit un contrat et la chanson devint un hit. Si l’inspiration d’une chanson est souvent difficile à à savoir, cette goualante de Ferrer a cependant une histoire réelle. Inspirée par une chienne qu’aurait recueillie ses parents – et surnommée Lassie – le nom Mirza, lui, serait venu de l’oeuvre d’Hergé. Comme quoi le 9e art peut être une source inestimables pour les chanteurs et chanteuses à la recherche d’idées ! À ce propos, cela me rappelle un certain employé n’ouvrant jamais le courrier, même si c’est son travail. Vous savez, il s’appelle Gaston et répond encore moins au téléfon…

Mirza dans Tintin en Amérique

Mirza Le secret de la licorne

Reprises

Mirza sera chantée l’année suivante, en 1966, par les groupes pratiquement inconnus qui suivent : Bad Stone, Les Kems, ainsi que Les Soliloquys. La chanson sera également réutilisée dans les années 80, par Christie (alias Nina Morato) pour un 45 tours, avec deux autres titres de Ferrer : Oh Hé Hein Bon et Le téléfon.

Clin d’oeil

La première parodie ne se fit pas attendre et nous la devons à une chanteuse qui a aujourd’hui un peu sombré dans l’oubli : Suzanne Gabriello, la fille de l’acteur et parolier Gabriello. Sur la même musique pratiquement note pour note, Mirza est détournée au profit de Z’avez pas lu Kafka ? . Et si cela n’était pas assez évident pour les auditeurs, elle rajoute des Nino un peu partout pour marteler le fait qu’il s’agisse d’une parodie. Malheureusement, ce n’est pas une des plus réussies pour Suzanne G., car elle n’est pas toujours sur la note… Avant de faire la leçon aux autres, il faut être sûr de viser juste soi-même ! 

Suzanne Gabriello – Z’avez pas lu Kafka

 

Jacques Brel 67 L’humour de Nino Ferrer sembla contagieux et, s’il avait emprunté à un Belge le nom Mirza, ce n’était que justice si un autre citoyen du plat pays devrait le réutiliser. Il s’agit ici du grand Jacques qui, dans sa chanson tragicomique À jeun, invoque les malheurs d’un veuf tout récent. Alors, que le narrateur décrit tous ceux qui sont présents aux funérailles (beau-maman, belle-papa – ce qui indique son état d’esprit), il lâche un soudain « Z’avez pas vu Mirza« , certainement déplacé et absurde, mais qui ajoute de l’humour à la chanson. D’ailleurs, À jeun a été composée en 1967, peu de temps à peine après Mirza, et les auditeurs de l’époque ont dû relever la référence.    

Jacques Brel – À jeun

Paroles

Nino Ferrer – Mirza

Suzanne Gabriello – Z’avez pas lu Kafka ?

Jacques Brel – À jeun

Discographie

Pour Nino Ferrer

1965 – 45 tours EP : Mirza/Les cornichons/Il me faudra… Natacha/Ma vie pour rien

Pour Suzanne Gabriello

1966 – 45 tours SP : Les jolies colonies de la France/Votez hein bon !/Mon permis au mois d’août/Z’avez pas lu Kafka

Pour Jacques Brel

1967 – Jacques Brel 67 : Mon enfance/Le cheval/Mon père disait/La la la/Les coeurs tendres/Fils de …/Les bonbons 67/La chanson des vieux amants/À jeun/Le gaz

Sources

  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 25 janvier 2014.
  • HERGÉ. Tintin en Amérique. Tournai : Casterman, 1983, p. 45.
  • HERGÉ. Le secret de la licorne. Tournai : Casterman, 1974, p. 8.
  • PESSIS, J. Chronique des années yéyé. Sine loco : Éds. Chronique, 2013.