Le 10 janvier 2016, deux jours seulement après son soixante-neuvième anniversaire, décédait le légendaire rocker David Bowie. Atteint depuis plus d’un an d’un cancer au foie incurable, le chanteur britannique a néanmoins su conserver ses dernières forces pour composer un dernier opus, Blackstar. Mêlant à la fois l’avant-garde dont il a toujours été l’un des vecteurs, une symbolique riche en interprétation et l’image de sa mortalité qu’il sait désormais réelle et proche, Bowie a créé un véritable testament musical pour ses fans. De fait, l’alter ego de Ziggy Stardust s’est plu à truffer ses dernières compositions de références à des albums précédents, tissant des liens avec de nombreuses chansons qu’il a composées depuis 1967. On peut notamment voir dans le vidéoclip de la chanson Blackstar un astronaute échoué sur une planète lointaine et dont le corps, décomposé à l’intérieur de sa combinaison spatiale, révèle la mort inévitable qui nous guète.
Cette scène est non sans évoquer le triste destin de Major Tom, astronaute perdu dans l’espace dans le premier hit (inter) planétaire de Bowie, Space Oddity. Sorti en single en juillet 1969, la chanson arrive tout juste à temps pour souligner la mission d’Apollo 11, lorsque Neil Armstrong fera un petit pas sur la Lune. Bien évidemment, la radio hésite à la faire jouer car la fin tragique de l’astronaute n’est certainement pas de bon augure…
Bien ancré dans la « culture spatiale » de l’époque, il est possible d’y voir l’influence du film de Kubrick 2001, L’Odyssée de l’espace (2001 : A Space Odyssey en anglais). Outre la similarité des titres, il y a clairement un lien entre le triste sort du Major Tom et le docteur Frank Poole, lorsque ce dernier voit son tube d’oxygène sectionné à cause de l’ordinateur renégat HAL et qu’il flotte dans l’espace, sans vie, loin de la station. Mais, dans la chanson de Bowie, l’histoire ne dit pas si c’est un accident, un sabotage ou un acte délibéré de l’astronaute…
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Reprises
En 1971, le chanteur français Gérard Palaprat a décidé de reprendre Space Oddity en français, sous le titre Un homme a disparu dans le ciel. Fidèle à l’original musicalement, la pièce manque cependant de la présence cosmique que Bowie y insufflait; Major Tom a disparu, et il y a eu plusieurs ajouts particuliers, comme un décompte en russe au début de la chanson (le parolier n’est autre que Boris Bergman, anglais d’origine russe). De plus, le texte français fait des références à « un homme qui peint l’arc-en-ciel » et au « vieux saule qui nous cachait la maison du bateleur« , ce qui rend le texte beaucoup plus psychédélique que la version de Bowie. Enfin, le protagoniste n’envoie plus ses dernières pensées à sa femme, mais bien à sa mère… Complexe d’Oedipe ou s’agit-il tout simplement d’un enfant rêvant en regardant les étoiles ?
Gérard Palaprat – Un homme a disparu dans le ciel
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À l’heure de l’électro-pop dans les années 80, c’est Plastic Bertrand qui reprendra le relais des aventures du plus connu des astronautes fictifs. En 1982, Peter Schilling avait composé un morceau en hommage à Bowie intitulé Major Tom en allemand, avant de le traduire en anglais. L’année suivante, le chanteur belge créera une version française de la chanson de Schilling, adaptée par Y. Lacomblez et J. Molet. Cependant, si la conclusion est similaire à la pièce originale, il y a une nuance particulière, moralisatrice qu’on peut entendre : Continuez sans nous, monde égoïste/Faites-vous la guerre nucléaire/…/Il y a dans l’univers des mondes meilleurs. La dérive du Major Tom n’est finalement pas aussi tragique que le laissait entendre Ziggy Stardust…
Plastic Bertrand – Major Tom
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Dans les années 2000, c’est le chanteur québécois Frank Fuller alias Lucien Midnight qui enregistrera sa propre version de Space Oddity. Intitulée simplement Major Tom, la goualante présente une vision mélancolique de la chanson originale de Bowie. Parsemant de franglais et de joual sa version, Midnight parvient à faire ressortir certaines spécificités propres au Québec; le « casque de poil » employé en lieu du casque d’astronaute renvoie de façon humoristique au froid de l’espace. Enfin, en rajoutant qu’il est « bien buzzé », le chanteur ajoute une dimension particulière, celle d’un Major Tom drogué – comme David Bowie lui-même l’insinue dans Ashes to Ashes: « We all know Major Tom’s a junkie« .
Lucien Midnight – Major Tom
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Paroles
Lucien Midnight – Major Tom
Gérard Palaprat – Un homme a disparu dans le ciel
Sources
- ENCYCLOPEDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 21 janvier 2016.
- FOURNIER, I. « From « Space Oddity » to Canadian Reality » in The Canadian Fantastic in Focus: New Perspectives, ed. A. Weiss, Jefferson, North Carolina : McFarland & Company Inc. Publishers, ca 2015, p. 212-223.