Une mutinerie révolutionnaire – Le cuirassé Potemkine

En 1905, la situation politique est critique en Russie impériale; une guerre commencée avec le Japon l’année précédente s’annonce désastreuse et devient de plus en plus impopulaire auprès du peuple russe. Une manifestation a lieu en janvier sur la place du Palais d’hiver et se termine par un bain de sang; cet évènement sera connu par la suite sous le nom de « Dimanche rouge ». Cette effervescence de révolte continuera tout le long de l’année jusqu’à la tenue d’une grève générale pendant une dizaine de jours jusqu’à ce que cède Nicolas II. Il existe cependant un évènement capital qui se produit le 27 juin et qui marquera les esprits: la mutinerie du cuirassé Potemkine.

Mouillant dans les eaux de la mer Noire, le bâtiment reçoit un ravitaillement de viande; cependant, selon certains, la viande est avariée et plusieurs matelots refusent leur portion, encouragés par un jeune agitateur marxiste, Matouchenko. Le capitaine du cuirassé Guiliarovski décide alors de fusiller des mutins pour l’exemple et ordonne à ses hommes de s’exécuter; Matouchenko parvient à les convaincre de ne pas tirer. Guiliarovski tire alors sur un des hommes au peloton avant d’être lui-même abattu; désormais, la mutinerie est déclenché et les matelots s’emparent d’armes et s’empressent d’occire des officiers supérieurs. Une fois fait, ils élisent à main levée un comité en charge du navire, avec Matouchenko à sa tête. Le Potemkine fait alors route vers Odessa, où il y a de nombreux remous politiques; après quelques jours d’ancrage dans la baie, le vaisseau quitte les eaux de Crimée en direction de la Roumanie. Convaincus qu’il n’y a désormais plus rien à faire, et que leur geste n’aura causé une révolution dans la flotte russe, les matelots se rendent aux autorités roumaines. C’est la fin de la mutinerie du Potemkine.

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Ces évènements inspireront le grand cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein qui filmera vingt ans plus tard un des grands chef-d’oeuvres du 20e siècle, Le Cuirassé Potemkine, un mélange saisissant de poésie et de propagande soviétique. Et c’est justement en le visionnant que Georges Coulonges décide d’écrire une chanson sur la mutinerie trois jours plus tard, obsédé selon ses dires par les images captivantes du film d’Eisenstein. L’écrivain la confiera à Jean Ferrat, qui passera de nombreux mois afin de trouver une musique qui convienne au ton révolutionnaire de la chanson. Lorsqu’il parviendra enfin à trouver la mélodie qu’il désire, le chanteur de l’Ardèche l’enregistrera, porté par les arrangements d’Alain Goraguer. 

Jean Ferrat – Potemkine

C’est alors qu’il est invité le 24 novembre 1965 à l’émission animée par Alain Raisner Âge tendre et Tête de bois que Jean Ferrat propose de chanter Potemkine. Toutefois, la censure étant assez sévère à l’époque, on refuse catégoriquement la chanson, considérée trop provocante; la direction fait savoir à Ferrat qu’il devra tout simplement en choisir une autre. Intransigeant, le chanteur quitte le studio et ce sera justement cette interdiction qui donnera une publicité retentissante à Potemkine. Comme quoi la censure a tendance à rendre une oeuvre souvent plus alléchante, en particulier lorsque celle-ci présente un thème révolutionnaire…

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Paroles

Jean Ferrat – Potemkine

Sources

  • BRIERRE, J. D. Jean Ferrat, une vie. Archipel, 2010.

L’homosexualité et la chanson française 1900-1950

Le 12 juin 2016, la communauté gaie d’Orlando a été la cible d’un ignoble attentat qui a coûté la vie à 49 personnes. Il s’agit d’un autre douloureux chapitre dans l’histoire déjà lourde de l’homophobie, et un recueillement ne saurait être inutile pour dénoncer ce genre de haine qui n’a aucune raison d’être.
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L’homophobie a longtemps véhiculé au sujet de l’homosexualité de nombreux stéréotypes. Parmi ceux-ci, notons le fait d’être très efféminé, un cliché qui a la vie dure; présent dans plusieurs sphères de la culture, il a souvent été propagé par l’entremise de la chanson et nous n’y échappons pas. Pensons à un artiste du début du siècle, à l’époque du caf’ conc’, Dranem. De son vrai nom Armand Ménard, il aura longtemps tenté de se tailler une place dans le genre du comique troupier jusqu’au jour où il crée son propre personnage. Portant un costume à carreau et un chapeau mou, l’artiste se forgera un personnage efféminé qui sera désormais sa marque de commerce. À son répertoire, notons la chanson assez évocatrice Le trou de mon quai. Cette pièce, dont le titre est une contrepèterie évidente, élabore au sujet de la construction du métro à Paris, et crée un parallèle entre le forage souterrain de la ville et… vous l’aurez deviné. Une autre chanson du même Dranem porte également sur ce thème – Henri, pourquoi n’aimes-tu pas les femmes? – et cultive l’idée que l’homosexualité est un genre que l’on se donne: Ce n’est peut-être après tout /Qu’un manque d’habitude /La vérité, voyez-vous /C’est une attitude. Ces pièces demeureront des classiques du répertoire de la chanson interlope, étant encore de nos jours interprétées pour un public averti et souvent marginal. 

Dranem – Le trou de mon quai

Dranem – Henri, pourquoi n’aimes-tu pas les femmes?

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Cet état de fait se poursuivra par la suite, comme le démontre la chanson Le p’tit roux du faubourg Saint-Martin que chantera Fortugé, un émule de Dranem, pendant les années folles; on y remarque aussi une allusion évidente à la sexualité masculine: Ah, si j’habitais Pékin/J’serais l’plus beau des pétrousquins/Je m’ ferais une belle queue tous les matins/Avec mes cheveux rouquins. Ici, le terme « pétrousquin » peut signifier à la fois un paysan crédule et un postérieur. Les hommes ne seront pas les seuls à être tournés en dérision par la chanson, puisque les femmes queer auront elles aussi droit à des clichés. Georgel créera La Garçonne, au sujet d’une travestie qui « pour être l’égale de l’homme, il lui manque quelque chose« . Il va de soit que ce genre de phrase assassine serait certainement moins acceptable de nos jours! Mentionnons enfin Imprudentes! de Georgius, dont les premiers mots parlés sont « une chanson efféminée » et dont le texte présente un « damoiseau » qui attend un « grand géant barbu » au bois de Boulogne, un lieu bien connu des Parisiens pour ses fréquentations nocturnes homosexuelles. 

Fortugé – Le p’tit rouquin du faubourg Saint-Martin

Georgel – La Garçonne

Georgius – Imprudentes!

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Il y a cependant des exceptions de taille du côté féminin, comme le morceau Ouvre chanté par Suzy Solidor en 1933. Solidor, qui était réellement lesbienne, interprète avec certains sentiments – très loin du « camp » de Dranem ou Fortugé – une chanson d’amour au sujet d’une femme. Le morceau sera un peu trop sulfureux pour l’époque et sera apparemment censuré. Quelques années plus tard en 1936, on la verra au cinéma, à l’affiche de La Garçonne, une transposition du roman éponyme de Victor Margueritte. Dans ce film, une jeune bourgeoise interprétée par Marie Bell décide de se débaucher en allant dans un cabaret lesbien, où elle se fera draguer par la même Solidor et… Édith Piaf!

Suzy Solidor – Ouvre

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Pendant cette même période, plusieurs goualantes feront également référence à des hommes travestis, comme C’était une fille, interprétée par nul autre que Maurice Chevalier. Ce genre de pièces interlopes aura semble-t-il un véritable essor en France pendant l’entre-deux-guerres, avant de s’amenuir pendant l’Occupation allemande, surtout à cause de la loi du 6 août 1942. Une fois la guerre finie, l’humeur et surtout l’humour reviendront au beau fixe, et les clichés reprendront de plus belle, comme la pièce Ils en sont tous de Robert Rocca le prouve. L’enregistrement de cette pièce a été effectué devant public, et le rire des gens présents démontre que ce style de chansons était toujours vivant et bien portant.

Robert Rocca – Ils en sont tous

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Paroles

Dranem – Henri, pourquoi n’aimes-tu pas les femmes?
Dranem – Le trou de mon quai

Fortugé – Le p’tit rouquin du faubourg Saint-Martin

Georgel – La garçonne

Georgius – Imprudentes!

Édith Piaf – La garçonne

Robert Rocca – Ils en sont tous

Suzy Solidor – Ouvre

Sources

Montéhus – Le chanteur engagé de 1900

Chanteur de la Belle Époque, Montéhus est né le 9 juillet 1872 sous le nom de Gaston Mardochée Brunswick dans une famille juive issue de la bourgeoisie. Alors qu’il entame son service militaire, l’affaire Dreyfus éclate – ce qui le poussera à devenir un antimilitariste tout le long de sa vie et, a fortiori, dans ses chansons… Évidemment, la caserne n’est certes pas le meilleur endroit pour les ritournelles de ce genre et cela vaudra à Brunswick quelques séjours au cachot. Après un bref passage à Chalon-sur-Saône, où il est défait lors d’une élection – et poursuivi par des militaires à la manque qui distribuent des tracts contre « le Juif Brunswick » – l’antimilitariste s’installe à Paris en 1902. C’est alors qu’il change de nom pour devenir Montéhus et trouve des compositeurs pour accompagner ses goualantes. Il dépose sa première chanson à la S.A.C.E.M. en 1904, Du pain ou du plomb. Se rapprochant des positions de Gustave Hervé, il chante en 1907 Gloire au 17e, rengaine soulignant l’action de soldats du 17e régiment qui, ayant eu ordre de tirer sur des viticulteurs lors de la révolte des vignerons.

Gloire au 17ième

En 1905, Montéhus créera une chanson qui causera un véritable scandale au sein de la société française. Anticipant la 1ère Guerre mondiale de quelques années, la chanson La grève des mères se veut une dénonciation de la guerre, de la jeunesse servant de chair à canon et encourage les mères – telles des Lysistratas de la fécondité – de ne plus donner de fils à sacrifier aux bourreaux.

Cette goualante sera tellement mal reçue, non pas par la critique mais par la censure, qu’un juge déclarera que La grève des mères est une chanson abortive… Montéhus passera donc devant les tribunaux pour incitation à l’avortement (!) et sera condamné à deux mois de prison – peine plus tard convertie en une lourde amende à payer. Mais là ne s’arrêtera pas les réactionnaires – la rengaine sera également frappée d’interdit d’exécution publique et la partition ne pourra plus faire l’objet de colportage. 

La grève des mères

Ami de Lénine, membre du Grand Orient de France, socialiste antimilitariste, Montéhus tournera pourtant casaque en 1914, embrassant la cause de la Grande Guerre. Trahison ? En fait, la fatalité d’une guerre inévitable, de même qu’un rapprochement de Gustave Hervé avec le patriotisme l’ont probablement incité à effectuer cette volte-face. Signe que les choses changent avec le temps, Montéhus – pourtant harcelé par la droite militariste quelques années plus tôt – recevra la Croix de guerre en 1918 pour ses chants patriotiques!

Lettre d’un socialo – Interprétation de Marc Ogeret (circa 1970-80) 

Cependant, le patriotisme est de courte durée et le chanteur de la Belle Époque revient à ses premières amours. En 1919, Montéhus compose La butte rouge (sur une musique de Georges Krier), chanson rappelant la bataille de la Somme et du massacre qui s’en suivit. Probablement la pièce la plus connue du répertoire de Montéhus, elle sera reprise par nombre d’artistes, de Francis Marty à Zebda, en passant par Yves Montand et Claude Vinci!

La butte rouge – Interprétation de Francis Marty (circa les années 20)

La butte rouge – Interprétation de Leny Escudero

La butte rouge – Interprétation de Marc Ogeret

La butte rouge – Interprétation de Zebda

Au début des années 30, Montéhus se rapproche de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) et écrit une ritournelle pour le chef du Bloc populaire, Léon Blum, Vas-y Léon. Mais ses meilleures années étaient déjà derrière lui et l’antimilitariste est désormais considéré ringard, dépassé et désuet. De plus israélite, Montéhus sera contraint de porter l’étoile jaune et ne pourra plus toucher les droits de ses chansons à la S.A.C.E.M. sous l’occupation. Lors de la Libération, le révolté de la première heure créera une pièce à la gloire du Général, intitulée Le chant des Gaullistes. Enfin, après avoir reçu la Légion d’honneur en 1947, Montéhus décédera le 31 décembre 1952. Mireille Osmin, secrétaire fédérale de la Seine, le qualifiera de « libertaire plus que socialiste, révolté plus que révolutionnaire ». Entre 1963 et 1964, Christian Borel reprendra les goualantes de Montéhus dans un 33 tours intitulé fort à propos Les chansons de Montéhus. Homme profondément convaincu et à la plume politique, l’auteur de La grève des mères demeure un peu oublié aujourd’hui, malgré le regain d’intérêt pour la chanson engagée dont il fut certainement l’un des précurseurs.

Vas-y Léon

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Paroles

Leny Escudero – La butte rouge

Montéhus – Gloire au 17ème
Montéhus – La grève des mères
Montéhus – Lettre d’un socialo
Montéhus – Vas-y Léon

Marc Ogeret – La butte rouge

Discographie

Pour Christian Borel

1963 – 33 tours LP : La butte rouge/On n’devrait pas vieillir/La grève des mères/N’insultez pas les filles/Gloire au 17ème/La vierge rouge/Ils ont les mains blanches/Au lieu d’acheter tant d’aéros/Si vous voulez des gosses/Le chant des jeunes gardes

1964 – 45 tours EP : Montéhus/La vierge rouge/Gloire au 17ème/Le chant des jeunes gardes

Sources

  • DICALE, B. Les Miscellanées de la chanson française. Paris : Fetjaine, 2009, p. 120.
  • VILLATE, L., BLOCHE, P. et alli. Socialistes à Paris : 1905-2005. Grâne : Éditions Creaphis, 2005, p. 45.
  • DU TEMPS DES CERISES AUX FEUILLES MORTES [http://www.www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net] Consulté le 18 juin 2014.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 18 juin 2014.

Remerciements

  • Les utilisateurs de Youtube CCFFPA et LYSGAUTY1, auxquels les chansons ci-dessus ont été empruntées. 

Gainsbourg et la muse érotique – Je t’aime moi non plus

Depuis qu’il a retourné sa veste – car elle était doublée de vison, ajoutait-il goguenard – Gainsbourg a enfin trouvé le succès pop en 1965. Et cela, grâce à une jeune femme, France Gall. Cette formule, bien que habituelle chez les paroliers/compositeurs (ce fut le cas pour Charles Aznavour et d’autres), réussira particulièrement bien pour l’homme à tête de chou. Au début des années 60, l’alter ego d’Evguénie Sokolov offre des compositions à une jeune Brigitte Bardot, alors véritable sex-symbol depuis Et Dieu…créa la femme. Profitant du charme de B.B., Gainsbourg lui écrit certains morceaux comme L’appareil à sous, Bubble Gum ou encore Je me donne à qui me plaît…

Brigitte Bardot – L’appareil à sous

Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît

Cependant, c’est en 1967 que la collaboration se révèle fructueuse ; une idylle passionnée naît entre les deux. Curieuses amours! Alors que B.B. est l’image même de la volupté et de la sensualité, Gainsbourg a quant à lui un physique ingrat dont les médias adorent se moquer. Et pourtant, la belle et la bête sont bel et bien épris l’un de l’autre! Mais Vénus est éphémère pour ceux qui la croient éternelle… Après un trouble de comportement, Gainsbourg est réprimandé par la Bardot. Elle lui demande en guise de réparation la plus belle chanson d’amour. Le pianiste, ayant quelques jours plus tôt assisté à une projection du film Bonnie & Clyde de Warren Beatty, commence à songer à sa dette amoureuse. La même nuit, il compose Bonnie and Clyde, qui sera créé pendant le Brigitte Bardot Show lors du jour de l’an 1968.

Ce ne sera pas la seule chanson que Gainsbourg désire offrir à sa muse ; il a également écrit une chanson beaucoup plus sulfureuse et corrosive sur une musique composée pour Les Coeurs verts dÉdouard Luntz. Le résultat ? Je t’aime, moi non plus. L’homme à tête de chou aurait été inspiré d’une citation de Salvador Dali :

Picasso est Espagnol, moi aussi
Picasso est un génie, moi aussi
Picasso est communiste…moi non plus !

La sortie du 45 tours est prévue pour le 25 décembre, tout un cadeau de Noël de la part de Serge et Brigitte! Mais, ayant épousé Gunter Sachs, la plantureuse blonde exige que la chanson n’aboutisse pas dans les bacs – de peur que son mari fraîchement épousé ne paraisse cocufié ! Gainsbourg enferme la maquette dans son coffre-fort. Que va-t-il arriver de sa chanson?

Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot – Je t’aime moi non plus

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Je t’aime, deuxième partie

C’est en 1968, au mois de mai, que Serge fait une rencontre sur le plateau de tournage du film Slogan de Pierre Grimblat. Il s’agit de Jane Birkin, ex-compagne du compositeur John Barry. Mais le Français se montre distant et hautain devant la jeune Anglaise. L’ambiance orageuse qui en découle est fort déplaisant ; Grimblat les invite tous deux au restaurant puis se décommande. Alors qu’ils sont en tête-à-tête, l’amour pointe le bout de sa flèche et shebam, pow, blop, wizz.. Se métamorphosant en moderne Pygmalion, Gainsbourg prendra la jeune Anglaise sous son aile (et bien d’autres choses !). Il décide de lui faire enregistrer la chanson qu’il avait écrite pour B.B. pour un 33 tours qui s’intitulera de façon peu originale Jane Birkin – Serge Gainsbourg.

Album Jane Birkin et Serge Gainsbourg

Parsemée de gémissements rappelant l’orgasme, la chanson fait scandale à l’époque. Censurée par la BBC, la goualante sera mise à l’index par le Vatican et Jean XXIII ! Mais comme toute chose interdite, elle ne fait qu’attiser l’intérêt des auditeurs : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Scandinavie de même que certains pays sud-américains se l’arrachent! Les journalistes et autres médisants ont longtemps spéculé que le couple avait bel et bien fait l’amour en studio ; cela sera démenti par le principal intéressé par une boutade particulièrement gainsbourgienne. L’homme à tête de chou avait soutenu que la chanson n’aurait pas été aussi longue si elle avait eu la même durée qu’une relation sexuelle…  

Serge Gainsbourg et Jane Birkin – Je t’aime moi non plus

Clin d’oeil

La chanson fait tellement parler d’elle que les parodies foisonnent. Parmi celles-ci, retenons au passage « Ça« , interprétée par Bourvil et Jacqueline Maillan. Le couple, s’appelant Serge et Jane respectivement, dialogue au son de l’orgue comme deux retraités devant la télévision. Exit le torride, entre le tout ridé… 

Bourvil et Jacqueline Maillan – Ça

En 1974, lors d’un spécial à la télévision, Jane Birkin interprète à nouveau la sulfureuse chanson en compagnie d’un autre partenaire… nul autre que le Monocle, Paul Meurisse ! Fidèle à lui-même, l’acteur de Dunkerque balbutie des paroles incohérentes avec un ton grave et solennel, provocant ainsi le rire des téléspectateurs.

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Je t’aime, suite et fin

Si le premier succès était dû à la candeur de Gall, le deuxième le devînt grâce à la sensualité de Birkin… Ce ne fut là bien sûr pas la seule chanson osée que Gainsbourg fit chanter à Jane ; il faut également penser à La Décadanse ou encore Sex-shop. Leur amour engendra une petite fille, prénommée Charlotte, qui aura une carrière fulgurante dans la chanson et le cinéma, combinant les forces de ses deux parents. Malheureusement pour Gainsbourg, l’union avec Birkin ne durera pas – avec la nouvelle décennie 80 s’amorce aussi la fin de son couple avec la dame Jane…

« Vieux con ! », « Boudin ! ». Voilà les premiers mots qu’échangèrent Gainsbarre et Bambou lors d’une rencontre. Mais, tout comme avec Jane, l’animosité ne fut que passagère et bientôt Serge et Caroline devinrent un couple. Gainsbourg, en mal d’amour, allait éponger son chagrin de Jane comme un Tarzan de pacotille aux bras de Bambou. Et qui dit nouveau couple, dit nouvelle chanson d’amour. L’alter ego d’Evguénie Sokolov créa pour sa compagne une goualante qu’il avait lui-même consacrée : « Je t’aime moi non plus puissance 1000″ ! C’était à propos du nouveau titre de son album éponyme Love on the beat. Dans une chanson stimulant la torture sexuelle, on peut entendre Bambou crier et geindre – une prestation digne des rêves les plus torrides du marquis de Sade lui-même!

Serge Gainsbourg – Love on the beat

En 1986, Bardot donnera son accord pour que la chanson originale puisse enfin être entendu par le public ; il est évident que presque vingt ans plus tard, Je t’aime moi non plus avait perdu son mordant initial. Et si l’on aime la chanson ou non, il faut avouer que cet amour tantôt dévoué à Bardot, Birkin ou Bambou aura permis à Serge Gainsbourg de se faire connaître… lui non plus !

Paroles

Brigitte Bardot – Bubble gum
Brigitte Bardot – L’appareil à sous
Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît
Brigitte Bardot/Serge Gainsbourg – Bonnie and Clyde
Brigitte Bardot/Serge Gainsbourg – Je t’aime moi non plus

Jane Birkin/Paul Meurisse – Je t’aime moi non plus
Jane Birkin/Serge Gainsbourg – Je t’aime moi non plus
Jane Birkin/Serge Gainsbourg – La Décadanse

Bourvil/Jacqueline Maillan – Ça (Je t’aime moi non plus)

Serge Gainsbourg – Love on the beat
Serge Gainsbourg – Sex-shop

Discographie

Pour Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot

1986 – 45 tours : Je t’aime moi non plus/Bonnie and Clyde

Pour Serge Gainsbourg et Jane Birkin

1969 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/69, année érotique

197? – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Belgique]

1974 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/La Décadanse

1975 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/La Décadanse [Japon]

1976 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Belgique]

1990 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Royaume-Uni]

Pour Serge Gainsbourg

1984 – 33 tours : Love on the beat/Sorry Angel/Hmm Hmm Hmm/Kiss me hardy/No comment/I’m the boy/Harley David son of a bitch/Lemon Incest

1984 – 45 tours SP : Love on the beat/Sorry Angel [Japon]

Pour Bourvil

1969 – 33 tours : Ça (Je t’aime moi non plus)/Pouet Pouet/Ma p’tit’ chanson/Maurice/La mandoline/Mon village au clair de Lune/Pauvre Lola/C’est l’piston/Un clair de lune à Maubeuge/Un p’tit coup monsieur/Je voudrais être/C’était bien (au petit bal perdu)/Pour sûr/La dondon dodue

1969 – 45 tours SP :Ça (Je t’aime moi non plus)/Pauvre Lola

Sources

Remerciements

Merci à l’utilisateur GAINSBARRÉ24 pour le vidéo de Meurisse/Birkin.

Les Flamands et les Brel

Jacques Brel, bien que francophone, est avant tout né d’une mère bruxelloise et d’un père flamand. Fort de cette représentativité plus que belge, le chanteur deviendra le chantre de la belgitude, particulièrement avec sa chanson Les Flamandes. Il est intéressant de noter que ce fut là le titre du premier recueil de poésie publié en 1883 par Émile Verhaeren – que Brel admirait. Le chanteur du plat pays crée la chanson en septembre 1958, mais elle ne sera présentée qu’en mars de l’année suivante. Sur le rythme de boerinnekedans, qui pourrait être traduit par « danse paysanne », Jacques Brel dépeint une vie rurale digne des tableaux de Breughel. Il s’offre même au passage un belgicisme : Si elles dansent, c’est qu’elles ont septante ans.

Jacques Brel – Les Flamandes

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Cependant, chez Phillips, la chanson est considérée « trop belge » pour percer sur la scène internationale. Jacques Brel ne cède pas et la chanson sortira sur disque quelque six mois plus tard. Mais les Flamands n’apprécieront pas la chanson et elle sera de fait interdite à la radio belge… Jacques, lui, balaiera de la main la critique en insistant que sa rengaine n’avait rien de provocant. Malheureusement, c’est la compagnie familiale Vanneste & Brel qui souffrira de l’ire des clients flamands, décidément farouches à l’idée de confier du travail à la famille du chanteur qui se sera moqué d’eux. 

Lors d’une entrevue donnée à Knokke en 1971, Brel racontera une anecdote au sujet de Les Flamandes ( vers la vingt-et-unième minute). Alors que le chanteur est à Jérusalem, l’attaché de l’ambassade de Belgique lui demande de ne pas chanter la chanson car l’ambassadeur du plat pays sera présent. Brel s’esclaffe, en pensant que c’était une zwanze. Hélas non ! D’ailleurs, poursuit-il dans l’entrevue, le fait qu’il ait chanté Les Flamandes est probablement la cause de l’agression d’Israël par Nasser !

Marieke

En 1961, Jacques Brel endisquera la chanson Marieke, dont le refrain en flamand peut-être vu comme une sorte de réconciliation avec les Flamands ; même si, au demeurant, le refrain lui-même ne veut pas dire grand chose : Sans amour/Sans amour chaud/Souffle le vent/Le vent fou/Sans amour/Sans chaud amour/Pleure la mer/La mer griseSi en Flandre plusieurs flamands sont à couteaux tirés contre Brel, il existe à Bruxelles une demande pour des chansons de Brel entonnées en flamand ! Ce dernier s’exécutera et se verront traduites dans la langue de Hugo Claus Marieke ainsi que Les Singes (De Apen), On n’oublie rien (Men vergeet niets), Ne me quitte pas (Laat me niet alleen), Les Bourgeois (De Burgerij), Rosa (Rosa), Le plat pays (Mijn vlakke land), Les paumés du petit matin (De Nuttelozen van de nacht) et Quand on n’a que l’amour, qui demeure toujours inédite…

Jacques Brel – Marieke

Les F…

Si la chanson Les Flamandes avait attiré les foudres de la communauté néerlandophone de la Belgique, Brel allait en créer une encore plus explosive sur ce qui s’avérera être son dernier album. Sorti en 1977, l’album Les Marquises a cependant fait les frais de quelques coupures puisque certaines chansons n’y figureront pas. Mais Barclay a tout de même décidé de conserver cette goualante corrosive portant sur les nationaliste flamands. Comme s’il s’agissait d’un mot grossier qu’il fallait à tout prix censurer, Les Flamingants n’ont pas été épelés au complet, mais simplement abrégés par des points de suspension pour donner : Les F

Jacques Brel – Les F…

Le morceau n’était au début de sa création pas aussi sulfureux ;  la première ébauche avait été conçue comme suit : Avec plus de Flamands qu’il n’y a de Flamandes/Avec plus de Flamandes qu’il n’est de multitudes. Mais Brel retravaille ses couplets et bientôt fait de sa rengaine une attaque contre les flamingants. Ceux-ci étaient proches d’un nationalisme assez ancré à droite, ce que le chanteur fustige durement : Nazis durant les guerres et catholiques entre elles

Pourtant, s’il s’en prend aux flamingants, qui avaient été courtisés pendant la Deuxième Guerre mondiale par les nazis à cause de leur pureté germanique, Brel affirme néanmoins que s’ils se comportent de façon abjecte, les autres Flamands (« les bons ») désapprouvent leur conduite : Vous salissez la Flandre, mais la Flandre vous juge

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Clin d’oeil

Bruno Brel, neveu de Jacques, est également un auteur/compositeur/interprète à ses heures. Revendiquant peut-être une identité plus près de la Flandre que son oncle, il répondra à Les F… par la chanson Je suis flamand (et j’en suis fier). Dans cette dernière, Bruno soulignera à gros traits à qui il renvoie la balle : On m’appelle le cochon d’Anvers/Y a bien le port d’Amsterdam… Malheureusement, cette réponse tardive restera sans riposte puisque Brel l’oncle était déjà mort depuis un an lorsque Brel le neveu la composa. Reste à savoir si les habitants de la Flandre en ont eu vent et, surtout, ce qu’ils en ont pensé. Ah, ces Flamands, ces Flamands, ces Fla-des Fla-des Flamands…

Bruno Brel – Je suis flamand (et j’en suis fier)

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Paroles

Jacques Brel – Les Flamandes
Jacques Brel – Les F…
Jacques Brel – Marieke

Bruno Brel – Je suis flamand (et j’en suis fier)

Discographie

Pour Jacques Brel

1959 – 45 tours EP : Les Flamandes/Seul/Isabelle/La colombe

1959 – La valse à mille temps : La valse à mille temps/Seul/La dame patronnesse/Je t’aime/Ne me quitte pas/Les Flamandes/Isabelle/La mort/La tendresse/La colombe

1961 – 45 tours EP : Marieke/Clara/Le prochain amour/Les prénoms de Paris

1961 – 45 tours SP : Lat me niet alleen/Marieke

1972 – Ne me quitte pas : Ne me quitte pas/Marieke/On n’oublie rien/Les Flamandes/Les prénoms de Paris/Quand on n’a que l’amour/Les biches/Le prochain amour/Le moribond/La valse à mille temps/Je ne sais pas

1977 – 45 tours SP : Les F…/Les Marquises

1977 – Les Marquises : Jaurès/La ville s’endormait/Vieillir/Le bon dieu/Les F…/Orly/Les remparts de Varsovie/Voir un ami pleurer/Knokke-le-Zoute tango/Jojo/Le lion/Les Marquises

Pour Bruno Brel

1979 – 45 tours SP : Je suis flamand/Les émigrants

Sources

  • PRZYBYLSKI, E. Brel à Bruxelles : Le guide du Bruxelles de Jacques Brel. Rhode-Saint-Genèse : Le Roseau vert, 2001, p. 245-246.
  • PRZYBYLSKI, E. Jacques Brel : La valse à mille rêves.  Paris ; Montréal : L’Archipel, 2008, p. 257-258, p. 667-669.
  • ENCYCLOPÉDISQUE [http://www.encyclopedisque.fr] Consulté le 22 janvier 2014.