Le culte du cargo puise ses origines dans la coexistence entre le monde moderne de la fin du 19e siècle et les populations indigènes d’Océanie, particulièrement des îles Fiji et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Lors de l’administration coloniale de ses nouveaux territoires insulaires, les peuples mélanésiens se retrouvent alors constamment en contact avec des Occidentaux, dont la technologie supérieure fascine. Rapidement, à l’orée du 20e siècle, les habitants observent l’arrivée de biens par bateau et par avion et, par mimétisme, essaient d’invoquer ces mêmes dieux généreux, en recréant par exemple des radios ou des carcasses d’avions. Ils ne pouvaient comprendre tout l’univers socio-économique qui se cachait derrière l’arrivée des Européens, des Étasuniens ou des Japonais, mais étaient simplement confrontés au fait accompli: ces étrangers possédaient des moyens qui ne pouvait s’expliquer que par magie. Et lorsqu’il y avait un naufrage ou un accident – surtout pendant la Seconde Guerre Mondiale – les adeptes du culte cherchaient dans les décombres, pour trouver des trésors: des parcelles de nourriture, des montres, des radios…
Aujourd’hui, une variante du culte du cargo est toujours présente en Océanie, sur l’île de Tanna; il s’agit de John Frum. Ce dernier aurait été un G.I. afro-américain qui serait venu en prophète inciter les habitants de l’île à se rebeller contre les missionnaires et l’autorité franco-britannique…
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Dans son album concept Histoire de Melody Nelson sorti en 1971, Serge Gainsbourg en fait pas seulement une allusion au culte du cargo, il lui dédie une piste complète. En effet, lors de l’écrasement d’avion de Melody, son amant est complètement atterré par la nouvelle; il en vient à se demander si, comme ces sorciers indigènes, il ne doit pas lui-même invoquer ses dieux de métal. Reprenant la trame « prog rock » de l’album, Gainsbourg donne à cette pièce une profondeur poétique, une sorte de contemplation morbide de Melody présentant à la fois une fascination du culte du cargo et un désir de vengeance sur ce monde moderne qui l’a emportée (Moi, comme eux, j’ai prié les cargos de la nuit/Et je garde cette espérance d’un désastre/Aérien qui me ramènerait Melody).
Si les ventes de l’album Histoire de Melody Nelson ont été très modestes voire presque inexistantes, cet opus de Gainsbourg a désormais sa place au panthéon des meilleurs albums-concepts toutes langues confondues. À croire qu’il serait devenu culte…
Serge Gainsbourg – Cargo culte
Paroles
Serge Gainsbourg – Cargo culte
Sources
- ANDERSON, D. Serge Gainsbourg’s Histoire de Melody Nelson. New York: Bloomsbury, 2013.