Un destin lié au Chili, deuxième partie – Victor Jara

Crédit photo: Marcelo Urra

Né de modestes paysans, Victor Jara se passionne tôt pour la musique et le théâtre, longtemps hésitant à poursuivre une seule voie; il parviendra à le faire en parallèle. Intéressé par la culture folklorique chilienne, il en recense pendant un temps avant d’intégrer le collectif d’artistes Cuncumén; rapidement, Jara devient directeur d’une académie folklorique (1963) et même du groupe de musique devenu légendaire Quilapayún (1966). Bientôt, sa carrière musicale commence à prendre son essor à la fin des années 60 alors qu’il enregistre son premier disque Canto a lo Humano. Conscient de la puissance de la plume, Jara continuera d’utiliser son incontestable talent pour des causes politiques qui lui tiennent à coeur. Communiste convaincu et partisan indéfectible de l’Unité populaire d’Allende, le chanteur sera arrêté par la junte militaire et emmené de force à l’Estadio Chile (aujourd’hui renommé le Stade Victor Jara), comme de nombreux opposants de Pinochet. Quelques jours après le putsch, Jara aura les doigts coupés à la hache – ceux qui avaient pourtant pincé les cordes de sa guitare pour claironner la paix et l’amour – avant d’être fusillé. On raconte qu’il aurait défié les soldats en entonnant la chanson de l’Unité populaire une dernière fois…

Figure de proue de la nouvelle chanson chilienne avec Angel Parra et Osvaldo Rodríguez, Victor Jara s’est illustré par son utilisation à la fois d’une guitare acoustique, instrument typique des chansonniers, et de sons plus électriques, tout en composant des textes engagés. Parmi ces sujets de prédilection, notons la critique de la bourgeoisie chilienne, la célébration du marxisme et de ses figures de proue, de même que des chansons sur l’amour. Une de ses goualantes les plus connues est sans contredit Te recuerdo Amanda (Tu te souviens Amanda), une histoire entre deux jeunes de la classe ouvrière, et qui sont séparés après que Manuel a pris part à une manifestation; nous conseillons également d’écouter El derecho de vivir en paz (Le droit de vivre en paix), une ode au leader Viet-Cong Ho Chi Minh, alors en pleine guerre avec les États-Unis. 

Victor Jara – Te recuerdo Amanda

Victor Jara – El derecho de vivir en paz

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© Erling Mandelmann

Comédien, chanteur et poète wallon, Julos Beaucarne est né le 27 juin 1936, à Écaussinnes, en Belgique. Il se découvre assez tôt un talent pour la chanson, et enregistre son premier 45 tours en 1964 et sort un album trois ans plus tard, pour lequel il obtient le prix des Rencontres poétiques du Mont-Saint-Michel. En 1973, il adapte Gilles Vigneault et Georges Brassens en wallon; il compose aussi deux albums instrumentaux, mettant à profit son talent musical. Toujours aussi humble, il demeure encore dans son village de Tourinnes-la-Grosse, et répond lui-même au forum de son site personnel que nous avons cité un peu plus bas.

En 1975, deux ans après le coup d’état, Beaucarne sort un album intitulé simplement Chandeleur Septante-Cinq; il y figure une chanson assez engagé, Lettre à Kissinger. Dans celle-ci, le chanteur belge reprend les derniers instants de Jara et accuse Kissinger d’avoir été directement responsable du meurtre de l’artiste chilien (Celui qui a pointé son arme/S’appelait peut-être Kissinger), en même temps qu’il lui rappelle la barbarie du régime militaire de Pinochet en la comparant à celle des Nazis (Cette histoire que j’ai racontée/Kissinger, ne se passait pas/En quarante-deux mais hier/En septembre septante-trois).

Julos Beaucarne – Lettre à Kissinger

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Crédit photo: Guy Thomas, Marie-Thérèse Grappe et Arnaud25

La même année, le chansonnier Jean Ferrat sort un album éponyme contenant une dizaine de titres. Parmi ceux-ci, il y a la pièce Le bruit des bottes, une chanson engagée contre le fascisme. Dès les premières lignes, un parallèle est fait entre le régime de Franco en Espagne et celui de Pinochet au Chili, en mettant en garde ses concitoyens français que la menace est réelle et peut toujours frapper un pays démocratique (ce qui avait été le cas dans les deux pays mentionnés) par l’excuse classique du rétablissement de la morale et de l’ordre public (Quand un Pinochet rapplique/C’est toujours en général/Pour sauver la République/Pour sauver l’ordre moral). Dans l’avant-dernière strophe, Ferrat fait allusion explicitement aux derniers moments de Victor Jara : 

À moins qu’avec un hachoir
Ils me coupent les dix doigts
Pour m’apprendre la guitare
Comme ils ont fait à Jara

Jean Ferrat – Le bruit des bottes

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© Erling Mandelmann

Après la Belgique et la France, la Suisse aura également son artiste qui chantera au sujet de Victor Jara en la personne de Michel Bühler. Enseignant de formation, le Bernois d’origine se consacrera rapidement à l’écriture de chansons, de pièces de théâtre et de romans. Très prolifique, comme le démontre sa vingtaine d’albums qu’il a lancé depuis 1969, Bühler est aussi reconnu pour la qualité de sa plume; il recevra le prix Jacques-Douai en 2013. En 2004, il composera la pièce Chanson pour Victor Jara sur son album Chansons têtues. Bühler y décrit la fin de Jara, de façon assez éloquente, en martelant la brutalité des militaires. Tout comme Beaucarne, le Suisse évoque la participation de Washington dans le coup d’état de Pinochet, et se désole qu’il y ait toujours pas eu de procès dans la mort du chansonnier chilien (Et personne depuis/N’a demandé pardon/Pour les années de nuit/Pour tous les compagnons). Mais, comme un faisceau de lumière à travers d’opaques ténèbres, Bühler évoque dans son refrain la chanson de l’Unité populaire, qui fut probablement – en espagnol – les derniers mots de Victor Jara… 

Le peuple uni, jamais
Ne sera vaincu, non !
Le peuple uni, jamais
N’inclinera le front !

Michel Bühler – Chanson pour Victor Jara

Paroles

Julos Beaucarne – Lettre à Kissinger

Michel Bühler – Chanson pour Victor Jara

Jean Ferrat – Le bruit des bottes

Sources

Droits d’auteur

  • La photo utilisée en couverture est une création de Yohan Navarro.

 

Une réflexion sur “Un destin lié au Chili, deuxième partie – Victor Jara

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