En 1947, Jean-Roger Caussimon sirote un verre bien tranquillement accoudé au zinc du Lapin agile. Il venait de déclamer sur scène quelques uns de ses poèmes, lorsqu’un jeune homme à binocles s’approche de lui. L’inconnu, tout de noir vêtu, lui propose de mettre en musique une des créations de Caussimon, À la Seine. Le poète accepte volontiers, sans savoir qu’il vient de confier un de ses enfants nul autre que… Léo Ferré. Cette collaboration, et chaude amitié, durera presque quatre décennies ; si seulement toutes les relations débutées dans un bar pouvait durer aussi longtemps !
Ce ne fut là que le début du tandem Caussimon-Ferré, dont la fructueuse collaboration compte également dans ses rangs la mise en musique de Mon Camarade, Nous deux, Mon Sébasto, Comme à Ostende… Certains textes plaisent et inspirent immédiatement Ferré, comme Ne chantez pas la mort, qu’il met en musique et chante à l’Olympia quelques jours à peine après réception du texte. D’autres textes, par contre, n’ont pas plu du tout au poète monégasque, tel que Le temps du tango, qui a bien failli finir aux oubliettes… Fort heureusement que la douce moitié de Léo Ferré saura le persuader. En 1953, une autre goualante voit le jour sous les doigts du poète sans Dieu ni maître : il s’agit de Monsieur William, un employé « modèle » trouvant la mort lors d’un différend au sujet d’une femme de petite vertu…
Monsieur William (1953)
Monsieur William, version dépouillée de l’Olympia (1955)
***
Reprise
Cependant, ce ne sera pas Léo Ferré lui-même qui créera le morceau ; cet honneur reviendra au duo très méconnu aujourd’hui Marc et André, composé de Marc Chevalier et d’André Schlesser. Puis, Monsieur William sera repris par plusieurs autres, allant des Frères Jacques jusqu’à Philippe Léotard, en passant par l’auteur originel ; endisquant son premier 33 tours à l’aube de la cinquantaine, Caussimon chantera Monsieur William à son tour.
Les Frères Jacques – Monsieur William
Philippe Léotard – Monsieur William
Jean-Roger Caussimon – Monsieur William
Reprise en vidéo
Le 5 juin 1961, Philippe Clay chantera la goualante devant caméra, en se laissant aller à une pantomime digne de Valentin le désossé. L’interprétation de Clay donne à Monsieur William une dimension grave, bien plus encore que Ferré, étant beaucoup plus près du slam moderne que de la chanson de cabaret. En extra, il faut remarquer qu’une partie du décor rappelle les gratte-ciels de New York, clin d’oeil à l’origine de l’employé modèle.
Pianiste de cabaret, l’homme à tête de chou a longtemps eu à son répertoire Monsieur William et décida en 1968 d’y faire une version plus moderne. Dans celle-ci, beaucoup plus rythmée et enjouée, les coeurs sont constitués de femmes à l’accent angliche, une interprétation peut-être plus sourcière pour rappeler les origines de Monsieur William. Cette version devait faire partie d’un projet que caressait – sûrement lubriquement – Gainsbourg : un album de reprises où devait également figurer La complainte de la butte et Comme un p’tit coquelicot…
Paroles
Jean-Roger Caussimon – Monsieur William
Philippe Clay – Monsieur William
Serge Gainsbourg – Monsieur William
Philippe Léotard – Monsieur William
Les Frères Jacques – Monsieur William
Discographie
Pour Léo Ferré
1953 – 33 tours LP : Monsieur William/La Chambre/Vitrines/Le Pont Mirabeau/Judas/Notre amour/…Et des clous/Les Cloches de Notre-Dame/Paris canaille
1958 – 45 tours LP : Paris-canaille/Monsieur William/L’homme/Le piano du pauvre
Pour Les Frères Jacques
1953 – 78 tours SP : Barbarie/Monsieur William
195? – 33 tours LP : Le Saint-Médard/Jour de colère/Page d’écriture/Complainte mécanique/La queue du chat/Monsieur William/Petite fable sans morgue
Pour Marc et André
1958 – 45 tours EP : L’Île Saint-Louis/Le chemin des oliviers/Le voilier l’Espérance/Monsieur William
Sources
- AUDIGIER, A. Les compagnons pianistes. Paris : L’Harmattan, 2010, p. 38.
- PEREY, I. C. 120 chansons que l’on fredonne : Petites histoires et anecdotes. Paris : Éditions Didier Carpentier, 2008, p. 93-94.
- VERLANT, G. Gainsbourg. Paris : Albin Michel, 2000, p. 31 & 117.
- ENCYCLOPÉDISQUE [www.encyclopedisque.fr] Consulté le 15 juin 2014.
Sondage