Une affaire de p’tits papiers entre Régine et Gainsbourg

Née le 25 décembre 1929 de parents Juifs polonais, Régine voit le jour à Anderlecht, en Belgique, avant de déménager à Paris avec sa famille en 1932. Pendant l’occupation de la France, la jeune Regina Zylberberg doit trouver refuge dans un couvent afin de ne pas être déportée; ce sera le sort de son père, qui pourtant survivra l’enfer des camps. Revenu à Paris, ce dernier ouvrira un café, La Lumière de Belleville, dans laquelle Régine travaillera jusqu’au début des années 50. Devenue par la suite vendeuse à Juan-les-Pins, elle y découvre les boîtes de nuit; c’est alors qu’elle décide d’ouvrir Chez Régine à Paris, en 1956. À 27 ans seulement, la future chanteuse est sacrée « Reine de la nuit » à Paris!

Au fil des ans, le succès sera continuellement au rendez-vous pour cette « salonnière moderne »: Régine ouvre le New Jimmy à Montparnasse et lance le twist en France en 1961. Bientôt, elle reçoit le gratin de Paris, comme Françoise Sagan. C’est au cours d’une de ces soirées mondaines qu’elle rencontre Renée Lebas, vedette des années 50, qui l’encourage à chanter et c’est ce qu’elle fait. En 1963, Régine enregistre son premier 45 tours, dont les deux chansons seront écrites et composées par nul autre que Charles Aznavour – pas mal comme début! Puis, elle demande à l’homme à tête de chou de lui composer un morceau et ce dernier se met à la tâche. Assis au piano, il lui joue une première pièce qui ne lui plaît pas; lorsqu’elle lui demande quelle était l’autre, Gainsbourg l’aurait regardée avec un regard filtrant, aurait posé sa cigarette et se serait mis à entonner: Laissez parler les p’tits papiers

Régine – Les P’tits Papiers

Rappelant un ragtime à la Scott Joplin, la chanson est ponctuée à chaque deuxième strophe du mot « papier », affublé d’un adjectif choisi pour y ajouter une couleur particulière, voire même une texture. Gainsbourg se permet même ici de quelques jeux de mots, dont « Ça impressionne/Papier carbone », qui est certainement moins compris de nos jours…

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Reprises

Marie-Paule Belle reprendra la goualante pour une compilation des plus belles chansons françaises, en 1967. Bien qu’il y ait un piano, la mélodie est plutôt jouée par une clarinette. Au début des années 70, Serge enregistrera sa propre version de la chanson, avec sa muse du moment Jane Birkin et Jacques Dutronc, une collaboration très fructueuse puisque le trio endisquera d’autres morceaux, comme Les Beaux Lolos de Lola ou Les roses fanées. Enfin, plus près de nous, Noir Désir l’interprétera sur le collectif Liberté de circulation, sorti en 1999. Cet album engagé aura pour leitmotiv « Toute personne a le droit de circuler librement« , ce qui explique le choix de la chanson, puisqu’il est question ici de sans-papiers. Pour mémoire, les paroles seront chantées par un groupe composé de Jeanne Balibar, France Cartigny, Femmouzes T, Noir Désir, Akosh S, Blankass, Rodolphe Burger, Dadou et Diésel, Theo Hakola et Grégoire Simon. 

Il faut dire que cinquante ans après avoir été créée par Régine, cette chanson semble toujours avoir la faveur du public, ou être dans ses petits papiers…

Marie-Paule Belle – Les petits papiers

Serge Gainsbourg, Jacques Dutronc, Jane Birkin – Les petits papiers

Noir Désir et Collectif – Les petits papiers

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Paroles

Noir Désir et Collectif – Les petits papiers

Régine – Les P’tits Papiers

Serge Gainsbourg, Jacques Dutronc, Jane Birkin – Les petits papiers

Sources

Droits d’auteurs

  • La photo en couverture est une création de Yohann Marchal. 

Gainsbourg et la muse érotique – Je t’aime moi non plus

Depuis qu’il a retourné sa veste – car elle était doublée de vison, ajoutait-il goguenard – Gainsbourg a enfin trouvé le succès pop en 1965. Et cela, grâce à une jeune femme, France Gall. Cette formule, bien que habituelle chez les paroliers/compositeurs (ce fut le cas pour Charles Aznavour et d’autres), réussira particulièrement bien pour l’homme à tête de chou. Au début des années 60, l’alter ego d’Evguénie Sokolov offre des compositions à une jeune Brigitte Bardot, alors véritable sex-symbol depuis Et Dieu…créa la femme. Profitant du charme de B.B., Gainsbourg lui écrit certains morceaux comme L’appareil à sous, Bubble Gum ou encore Je me donne à qui me plaît…

Brigitte Bardot – L’appareil à sous

Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît

Cependant, c’est en 1967 que la collaboration se révèle fructueuse ; une idylle passionnée naît entre les deux. Curieuses amours! Alors que B.B. est l’image même de la volupté et de la sensualité, Gainsbourg a quant à lui un physique ingrat dont les médias adorent se moquer. Et pourtant, la belle et la bête sont bel et bien épris l’un de l’autre! Mais Vénus est éphémère pour ceux qui la croient éternelle… Après un trouble de comportement, Gainsbourg est réprimandé par la Bardot. Elle lui demande en guise de réparation la plus belle chanson d’amour. Le pianiste, ayant quelques jours plus tôt assisté à une projection du film Bonnie & Clyde de Warren Beatty, commence à songer à sa dette amoureuse. La même nuit, il compose Bonnie and Clyde, qui sera créé pendant le Brigitte Bardot Show lors du jour de l’an 1968.

Ce ne sera pas la seule chanson que Gainsbourg désire offrir à sa muse ; il a également écrit une chanson beaucoup plus sulfureuse et corrosive sur une musique composée pour Les Coeurs verts dÉdouard Luntz. Le résultat ? Je t’aime, moi non plus. L’homme à tête de chou aurait été inspiré d’une citation de Salvador Dali :

Picasso est Espagnol, moi aussi
Picasso est un génie, moi aussi
Picasso est communiste…moi non plus !

La sortie du 45 tours est prévue pour le 25 décembre, tout un cadeau de Noël de la part de Serge et Brigitte! Mais, ayant épousé Gunter Sachs, la plantureuse blonde exige que la chanson n’aboutisse pas dans les bacs – de peur que son mari fraîchement épousé ne paraisse cocufié ! Gainsbourg enferme la maquette dans son coffre-fort. Que va-t-il arriver de sa chanson?

Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot – Je t’aime moi non plus

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Je t’aime, deuxième partie

C’est en 1968, au mois de mai, que Serge fait une rencontre sur le plateau de tournage du film Slogan de Pierre Grimblat. Il s’agit de Jane Birkin, ex-compagne du compositeur John Barry. Mais le Français se montre distant et hautain devant la jeune Anglaise. L’ambiance orageuse qui en découle est fort déplaisant ; Grimblat les invite tous deux au restaurant puis se décommande. Alors qu’ils sont en tête-à-tête, l’amour pointe le bout de sa flèche et shebam, pow, blop, wizz.. Se métamorphosant en moderne Pygmalion, Gainsbourg prendra la jeune Anglaise sous son aile (et bien d’autres choses !). Il décide de lui faire enregistrer la chanson qu’il avait écrite pour B.B. pour un 33 tours qui s’intitulera de façon peu originale Jane Birkin – Serge Gainsbourg.

Album Jane Birkin et Serge Gainsbourg

Parsemée de gémissements rappelant l’orgasme, la chanson fait scandale à l’époque. Censurée par la BBC, la goualante sera mise à l’index par le Vatican et Jean XXIII ! Mais comme toute chose interdite, elle ne fait qu’attiser l’intérêt des auditeurs : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Scandinavie de même que certains pays sud-américains se l’arrachent! Les journalistes et autres médisants ont longtemps spéculé que le couple avait bel et bien fait l’amour en studio ; cela sera démenti par le principal intéressé par une boutade particulièrement gainsbourgienne. L’homme à tête de chou avait soutenu que la chanson n’aurait pas été aussi longue si elle avait eu la même durée qu’une relation sexuelle…  

Serge Gainsbourg et Jane Birkin – Je t’aime moi non plus

Clin d’oeil

La chanson fait tellement parler d’elle que les parodies foisonnent. Parmi celles-ci, retenons au passage « Ça« , interprétée par Bourvil et Jacqueline Maillan. Le couple, s’appelant Serge et Jane respectivement, dialogue au son de l’orgue comme deux retraités devant la télévision. Exit le torride, entre le tout ridé… 

Bourvil et Jacqueline Maillan – Ça

En 1974, lors d’un spécial à la télévision, Jane Birkin interprète à nouveau la sulfureuse chanson en compagnie d’un autre partenaire… nul autre que le Monocle, Paul Meurisse ! Fidèle à lui-même, l’acteur de Dunkerque balbutie des paroles incohérentes avec un ton grave et solennel, provocant ainsi le rire des téléspectateurs.

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Je t’aime, suite et fin

Si le premier succès était dû à la candeur de Gall, le deuxième le devînt grâce à la sensualité de Birkin… Ce ne fut là bien sûr pas la seule chanson osée que Gainsbourg fit chanter à Jane ; il faut également penser à La Décadanse ou encore Sex-shop. Leur amour engendra une petite fille, prénommée Charlotte, qui aura une carrière fulgurante dans la chanson et le cinéma, combinant les forces de ses deux parents. Malheureusement pour Gainsbourg, l’union avec Birkin ne durera pas – avec la nouvelle décennie 80 s’amorce aussi la fin de son couple avec la dame Jane…

« Vieux con ! », « Boudin ! ». Voilà les premiers mots qu’échangèrent Gainsbarre et Bambou lors d’une rencontre. Mais, tout comme avec Jane, l’animosité ne fut que passagère et bientôt Serge et Caroline devinrent un couple. Gainsbourg, en mal d’amour, allait éponger son chagrin de Jane comme un Tarzan de pacotille aux bras de Bambou. Et qui dit nouveau couple, dit nouvelle chanson d’amour. L’alter ego d’Evguénie Sokolov créa pour sa compagne une goualante qu’il avait lui-même consacrée : « Je t’aime moi non plus puissance 1000″ ! C’était à propos du nouveau titre de son album éponyme Love on the beat. Dans une chanson stimulant la torture sexuelle, on peut entendre Bambou crier et geindre – une prestation digne des rêves les plus torrides du marquis de Sade lui-même!

Serge Gainsbourg – Love on the beat

En 1986, Bardot donnera son accord pour que la chanson originale puisse enfin être entendu par le public ; il est évident que presque vingt ans plus tard, Je t’aime moi non plus avait perdu son mordant initial. Et si l’on aime la chanson ou non, il faut avouer que cet amour tantôt dévoué à Bardot, Birkin ou Bambou aura permis à Serge Gainsbourg de se faire connaître… lui non plus !

Paroles

Brigitte Bardot – Bubble gum
Brigitte Bardot – L’appareil à sous
Brigitte Bardot – Je me donne à qui me plaît
Brigitte Bardot/Serge Gainsbourg – Bonnie and Clyde
Brigitte Bardot/Serge Gainsbourg – Je t’aime moi non plus

Jane Birkin/Paul Meurisse – Je t’aime moi non plus
Jane Birkin/Serge Gainsbourg – Je t’aime moi non plus
Jane Birkin/Serge Gainsbourg – La Décadanse

Bourvil/Jacqueline Maillan – Ça (Je t’aime moi non plus)

Serge Gainsbourg – Love on the beat
Serge Gainsbourg – Sex-shop

Discographie

Pour Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot

1986 – 45 tours : Je t’aime moi non plus/Bonnie and Clyde

Pour Serge Gainsbourg et Jane Birkin

1969 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/69, année érotique

197? – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Belgique]

1974 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/La Décadanse

1975 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/La Décadanse [Japon]

1976 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Belgique]

1990 – 45 tours SP : Je t’aime moi non plus/Jane B. [Royaume-Uni]

Pour Serge Gainsbourg

1984 – 33 tours : Love on the beat/Sorry Angel/Hmm Hmm Hmm/Kiss me hardy/No comment/I’m the boy/Harley David son of a bitch/Lemon Incest

1984 – 45 tours SP : Love on the beat/Sorry Angel [Japon]

Pour Bourvil

1969 – 33 tours : Ça (Je t’aime moi non plus)/Pouet Pouet/Ma p’tit’ chanson/Maurice/La mandoline/Mon village au clair de Lune/Pauvre Lola/C’est l’piston/Un clair de lune à Maubeuge/Un p’tit coup monsieur/Je voudrais être/C’était bien (au petit bal perdu)/Pour sûr/La dondon dodue

1969 – 45 tours SP :Ça (Je t’aime moi non plus)/Pauvre Lola

Sources

Remerciements

Merci à l’utilisateur GAINSBARRÉ24 pour le vidéo de Meurisse/Birkin.